Nous apprenions en 2013 le décès de Jesus Franco, le grand pape européen du nanar, l’homme aux pseudonymes divers et aux titres de films farfelus, que j’avais eu le plaisir de rencontrer en 2008 lorsque le NIFFF l’avait invité à l’occasion d’une rétrospective de son œuvre. Il était déjà âgé et ne se déplaçait qu’en fauteuil roulant, nous nous étions retrouvés assis côte à côte lors d’une projection et nous avions discuté d’une de ses petites merveilles que j’avais beaucoup apprécié et qui s’intitulait "Une Vierge chez les Morts-Vivants". J’ai donc appris sa disparition avec une certaine émotion et me suis dit que ce serait l’occasion de parler un peu de ce réalisateur boulimique généralement méprisé par les cinéphiles “sérieux” en raison de son rattachement au cinéma dit d’exploitation.

Le problème est donc résolu, je parlerai d’un film de Jesus Franco. Oui, mais le quel ? C’est qu’il en a réalisé plus de 180, le bougre ! J’en ai toute une série sous la main mais je ne sais pas lequel choisir. Il a adapté Edgar Poe, Lovecraft, Sade, Defoë, Shelley… Je parcours les titres : "Trois Filles Nues dans l’Île de Robinson" (1972), "Les Exploits Erotiques de Maciste dans l’Atlantide" (1973), "La Fille au Sexe Brillant" (1975), "Le Cri d’Amour de la Déesse Blonde" (1977), "Deux Espionnes avec un Petit Slip à Fleurs" (1980)… Me voilà repris par l’embarras du choix ! Je vous parlerai finalement de "Vampyros Lebos", pour lequel j’ai opté un peu au hasard et qui en vaut certainement bien un autre.

Réalisé sous le pseudonyme de Franco Manera, ce film n’est autre que la version féminine et lesbienne du "Dracula" de Bram Stoker, l’ensemble des personnages du roman (le comte Dracula, Jonathan Harker, le professeur Van Helsing, Renfield) ayant ici leurs correspondants. On pense également à Sheridan Le Fanu et à son roman "Carmilla", première apparition littéraire d’un vampirisme lesbien. Linda (Ewa Strömberg), employée du cabinet Simpson & Simpson, se rend sur une petite île d’Anatolie pour s’occuper d’une question d’héritage auprès de la comtesse Nadine Carody (Soledad Miranda), belle brune au regard inexpressif. Or, il se trouve que celle-ci, non contente de s’adonner aux plaisirs saphiques et de donner des spectacles de strip-tease dans un cabaret d’Istanbul, est une vampire et qu’elle a l’intention d’initier Linda et d’en faire sa sœur dans le crime. Le Dr Seward (Denis Price), spécialiste du vampirisme, va tenter de sauver l’âme de Linda mais il a affaire à bien plus fort que lui. Notons qu’on retrouve également le cinéaste lui-même dans un petit rôle, celui de Memmet, un domestique sadique qui torture des femmes dans sa cave.

"Vampyros Lesbos" est assez représentatif d’une partie de la cinématographie de Franco. Les variations subites et inexplicables d’éclairage, les faux raccords, les plans de coupe énigmatiques (un cerf-volant dans le ciel, un scorpion qui se noie dans une piscine), la prééminence de la musique ("The Lion and the Cucumber", un jazz-pop envoûtant avec beaucoup de synthétiseur), l’érotisme omniprésent, les gros plans sur les regards, les longueurs, le jeu approximatif, tout y est. Et surtout ces zooms et ces dézooms incessants, gratuits, compulsifs ! J’ai compté, durant certains moments du film, pas moins de trois à quatre zooms par minute ! A déconseiller les soirs de migraine donc.
David_L_Epée
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le 17 mai 2014

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