Spiritisme, Adolescence, Religion, Occultisme, Enfance, Famille, Sommeil : Après une partie de ouija dans les sous-sols de son école catholique avec deux de ses collègues, Verónica (Sandra Escacena) est suivie par un entité qui la menace elle et sa famille ou comment le réalisateur (Paco Plaza) donne-t-il corps à une épouvante générationnelle ?


Le ouija mais aussi les sciences occultes et les malédictions ancestrales en général sont devenus des poncifs du genre horrifique, tout comme le groupe d'adolescents qui y participe, à la recherche de sensations fortes, trop fortes pour eux. A tel point que la simple apparition du plateau de jeu suffise à évoquer l'imaginaire du spectateur. Le réalisateur coud autour de cette imagerie, l'utilise et lui donne un énième souffle bien maîtrisé.


Paco Plaza avec Jaume Balagueró, sont devenus des figures emblématiques du cinéma horrifique hispanophone avec leur quadrilogie REC (2007 - 2014) et s'insèrent dans une tradition initiée par leurs aînés comme Jesús Franco, Víctor Erice, Guillermo del Toro, Álex de la Iglesia et plus récemment de leur génération Andrés Muschietti, Alejandro Amenábar, Miguel Ángel Vivas et Juan Antonio Bayona. Le réalisateur revendique d'autant plus cet héritage par le choix de l'actrice qui interprète la mère de Verónica, Ana (Ana Torrent) qui est l'une des figure de proue du genre et éveille à elle seule les représentations spectatorielles sur ce courant. Ce leg mêle ses accents ibériques et sud-américains avec le fantastique monstrueux et le thriller surnaturel jouant régulièrement sur une porosité des frontières entre le monde réel et le monde imaginaire ou paranormal, à l'instar du Labyrinthe de Pan (2006).


Loin de révolutionner le cinéma d'horreur, le réalisateur multiplie les codes du genre : caméra portée, musique assourdissante, angle néerlandais, montage parallèle, zoom, lumière artificielle vive, plan zénithal. Rien de neuf sous le soleil, mais la réalisation est maîtrisée : les plans sont esthétisés, la trame narrative est bien construite, la direction d'acteur rend les personnages attachants, la montée de l'angoisse est régulière, les jump-scare sont mesurés. Mais cette réalisation est aussi par moment innovante car elle exploite plusieurs idées de mise en scène relativement singulières : la première lorsque la caméra suit en travelling la voiture de police puis qu'elle cadre son rétroviseur afin d'inclure dans son champs le passager, enfin, sans changer son axe, elle inclut également l'interlocuteur du passager lorsque que ce dernier ouvre sa portière et modifie l'angle de vue de rétroviseur. Une caméra technique qui reste encore timide à ce stade de l'enquête et n'observe que par la médiation de support réfléchissant : en subissant le mouvement du personnage, la caméra est une observatrice. Elle laisse place par la suite à une caméra tout aussi technique mais plus brutale, lors de la scène-tableau dans laquelle Verónica (Sandra Escacena) se réveille après un cauchemar et qu'un effet spécial donne l'impression au spectateur que le lit se redresse en même temps que la jeune fille, soulignant ainsi par ce mouvement de caméra peu habituel, l'instabilité du personnage qui oscille entre cauchemar et réalité surnaturel : en accompagnant le mouvement du personnage, la caméra devient actrice.


Mais plus encore, c'est un véritable travail sur l'époque qu'a mené Paco Plaza en immergeant son spectateur dans les années 1990 espagnoles. Un travail sur les costumes, les maquillages, les musiques, les décors qui pose une atmosphère angoissante aux couleurs criardes et aux tonalités de synthé. Cela confère une véritable identité visuel au métrage qui reflète véritablement les noventa espagnoles contrairement au vernis qu'a pu brosser Andrés Muschietti dans le remake de Ça (2017) des nineties étasuniennes. Une scène-tableau retranscrit bien cet atmosphère, quand Verónica arpente les couloirs de l'appartement familial et qu'elle est, accompagnée par une musique grave au synthé, éclaboussée par la lumière rouge vif du jeu emblématique des années 1980, le Simon qui émet ses tonalités métalliques régulières en surimpression. Ici on retrouve des citations de Suspira (1977) aussi bien dans la musique au synthétiseur et la lumière artificielle très vive plaquée sur les visages que dans, plus loin, l'utilisation de la figure pluviale comme vectrice d'angoisse.


La régularité de la montée de l'angoisse jusqu'à son paroxysme tient dans le dévoilement progressif de la figure du monstre qui ne fait pourtant pas, elle non plus, peau neuve : figure anthropomorphique, visqueuse et sombre, lente et ombragée. Une entité, certes ni charismatique, ni fascinante comme a pu l'être le Pale Man (Doug Jones) de Guillermo del Toro, mais qui tient sont rôle inquiétant et menaçant. Cette volonté du réalisateur de révéler graduellement l'altérité aux voyeurs que nous sommes permet d'une part de préserver l'angoisse et la surprise chez ce dernier, car bien souvent la non-figuration de l'horreur est un argument d'angoisse comme en témoigne It Comes at night (2016). Elle permet ensuite de s'identifier au personnage principal qui ne comprend pas l'entièreté des événements. Enfin, elle permet de conjuguer le réel, que rapporte les faits du rapport de police, et l'inexplicable, que relaye le point de vue de Verónica. Cette tension du surnaturel est au cœur même de ce film labellisé « inspiré de faits réel » et demeure un argument de masse : l'effroi est d'autant plus horrifique lorsqu'il est plausible, du moment qu'on y croit. C'est l'horreur de la proximité, plus ou moins réaliste.


D'autant plus que le film prend racine sur une réelle problématique, qui est a fortiori instable : le passage à l'âge adulte. Ce stade hybride de l'adolescence, a déjà joué un rôle fondamental dans le cinéma d'horreur comme un enjeu corporel, social, psychique. C'est la mue et la découverte du corps sexuel et politique, c'est le déséquilibre qui oscille entre émancipation et frustration, enfin c'est l'expérience de l'inconnu. C'est donc un choix pertinent que fait le réalisateur lorsqu'il confère à cette adolescente de 15 ans une véritable épaisseur générationnelle : les nombreuses responsabilités qui lui incombe, le cadre strict de l'école, les débuts d'une vie sociale et sexuelle, l'arrivée des règles ajoutés au traumatisme de la perte d'un géniteur. Ainsi, ce n'est pas un hasard, si certaines scènes évoquent en sous-texte Carrie au bal du diable (1976) ou plus directement Grave (2016). Dans ce sens, le réalisateur joue sur cet âge bâtard pour souligner la vulnérabilité puis le courage de la jeune Verónica, en témoigne la scène-tableau très esthétique de cette dernière qui tantôt fuit tantôt cours après la monstruosité et s'arrête de profil devant un tableau qui dépeint la chasse d'une meute de loup sur un mouton. Elle passe du statut de proie à celle de prédateur. Paco Plaza file cette idée de la fragilité en filmant le sommeil de cette adolescente, entendu comme l'abandon total du contrôle de son corps. Par exemple à travers la figure ambivalente du lit : vécu comme espace refuge destiné à la musique et aux rêves mais également comme espace du risque soumis aux cauchemars et qui par sa faible amplitude spatial implique l'immobilité du corps et donc à sa faiblesse. Là encore, cette figure à déjà été traité moult fois dans le genre comme dans Grave (2016) encore une fois, mais aussi dans Mister Babadook (2014) ou dans la saison 5 de American Horror Story (2015 - 2016) mais elle a un sens. Si Paco Plaza n'innove pas, il n'en est pas moins efficace.


« Le cinéma repose autant sur ce qu'il y a à l'intérieur du cadre qu'en dehors » - Martin Scorsese

Moodeye
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le 4 févr. 2018

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