Vers la lumière réunit les deux caractéristiques principales de ses deux derniers long-métrage, Still the Water et les délices de Tokyo (dont elle reprend l'un des thèmes, soignant la transition entre ses films): une sensibilisation poétique de la perte, d'un côté, et un certain pathétique aux relents mièvre de l'autre.


Considérons d'abord le premier point, car il s'agit d'une véritable qualité permettant de classer Naomi Kawase parmi une liste élargie des meilleurs cinéastes de son temps: la dimension poétique, et donc sensible de son cinéma qui lui confère un style, une indéniable dimension d'auteur. En effet, vers la lumière propose non seulement un très beau et pertinent cinéma de la contemplation, du regard mais aussi du sentir, du toucher, de l'ouïe, comme le souligne le travail considérable (parfois même surligné) sur les sons hors champ (vent qui court dans les feuillages, rumeur de la ville, frôlement de vêtements, …) et l'espace visuel concédé aux caresses et à l'expression du corps, tissant souvent des correspondances entre les personnages et la nature environnante - de manière parfois redondante, certes, comme avec les nombreux crépuscules venant illustrer cette perte à laquelle se trouve irréversiblement confronté le personnage du photographe.


Nous sentons derrière cela une certaine liberté du regard, prenant le temps de s'ouvrir, de montrer, de percevoir, de faire partager, de faire découvrir le beau. Cela prime à nos yeux sur l'histoire d'amour (développée dans la deuxième partie du film), secondaire finalement, comme le démontre la mise à distance du récit à travers le recours à des facilités dramatiques (rencontres tout sauf fortuites) et certains clichés narratifs. Par ailleurs, prenant conscience du danger du pathos qui guette sous cette histoire de cécité et d'amour impossible, Kawase s'en éloigne sciemment grâce à une intelligente mise en abîme du film dans le film (celui vu au cinéma par les mal-voyants) qui, lui, à l'inverse du sien, plonge les yeux fermés dans le mélo le plus mièvre et mielleux possible, avec des symboles on ne peut plus explicites pour que le commun des mortels puisse comprendre.


Cependant, bien qu'elle ne franchisse jamais cette ligne du mélo, elle n'en passe guère loin, et n'hésite pas non plus (surtout vers la fin) à jouer des plus simples et redondants lieux communs romantiques que n'aurait pas dédaigné un Chateaubriand (perte irréversible, homme seul face à la nature indomptable, crépuscule comme miroir de l'âme, lumière aveuglante, …). Néanmoins, notamment dans la première partie, elle développe un véritable réflexion sur l’œil, le regard dans une savante dialectique entre l'objet (le réel) et le sujet (l'humain qui regarde cet objet, le perçoit à travers le filtre de ses sensations), interrogeant ainsi notre capacité à dire le réel (vanité de la parole) et à le recréer, renvoyant par la même derrière cette métaphore du regard à son propre travail de cinéaste.


En fin de compte, malgré certains passages trop appuyés, Vers la lumière, dans la lignée des plus récents T. Malick, offre des moments de grâce et de poésie qui transportent le spectateur dans un monde sensible. Sans atteindre toutefois le degré de virtuosité du récent Notes on Blindness que nous ne saurions trop recommander.

Marlon_B
7
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le 5 juil. 2018

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