Quand le visuel humilie, en séquences, la parole

Il a fallu deux heures et quatorze minutes à Victoria pour passer par toutes les émotions, pour mettre en images toutes les idées folles d'une matinée certainement unique tant existenciellement que techniquement.
Une idée un peu farfelue au départ : faire un plan séquence de plus de heures au service d'une matinée en temps réelle vécue par cette jeune fille espagnole Victoria et quatre berlinois.


Visuellement, Victoria est vraiment une franche réussite. Ce postulat du plan séquence force le respect et donnent quelques scènes assez impressionnantes tant à l'écran que par le travail qu'elles ont dues demander. Mais cette idée est subjuguée quand le film et les acteurs se taisent pour laisser place à la musique et à l'image. Ces moments sont pour moi les plus grands de ce film, toute la scène où le groupe monte sur le toit est sublime, absolument sublime. Victoria trouve son essence dans ces moments de silence qui en disent tellement plus que le reste.
D'où montre titre, le silence bonifie Victoria, il lui donne une aura émotionnelle rare. Quand seulement la musique reste, les sensations sont transmises avec une intensité inflationniste que seul le plan séquence pouvait permettre.
La fusillade, elle aussi, rend plutôt bien sachant que l'exercice s'y prête (Cuáron l'avait montré dans Les Fils de l'Homme) plutôt bien. Au final, on a cette impression par moment que la parole vient polluer la pureté visuelle que Victoria aurait pu avoir. Cet esthétisme recherché est par moment totalement effacé par le bruit. Le casse lui, totalement suggéré, est une bonne idée même si on peut en ressortir quelque frustré car on l'attend, même si techniquement on a vu son déroulement.
Mais ce carcan du plan séquence enferme aussi le film et le limite terriblement par moment. Ce plan unique est frustrant par moment car on aimerait voir autre chose (en tout cas, le naturel, ou notre habitude, nous pousse à vouloir d'autres plans). Cette idée est à la fois géniale et limite considérablement par moment la portée du film.


Mais Victoria a un autre argument dans sa caméra : Victoria. Laïa Costa livre une performance affolante. L'exercice était difficile mais elle fait passer une tonne d'émotion juste par un regard, juste par une attitude ou une parole. Mais encore une fois, c'est quand le silence habite l'écran que Victoria (en tant que film et personnage) transmet le plus d'émotions et de sensations. Boxer, Blink, Sonno et Fuss forment une bande assez intéressante et chacun apportent sa pierre à l'édifice.


Leur épopée folle à travers Berlin est initiatique pour l'une et presque habituelle pour d'autres. Ces moments à travers la ville sont d'ailleurs très agréables, très mélancoliques et visuellement riche. Toujours accompagné de musique de qualité, Victoria a des arguments sérieux quand il s'agit de soumettre de l'image à l'oeil du spectateur. Il est difficile de capter un véritable message dans Victoria, il faut le prendre à mon sens comme une histoire berlinoise, comme la matinée pas banale d'une jeunesse européenne. Ou alors comme un spot visant à sensibiliser les jeunes sur la drogue et l'alcool (n'empêche que c'est crédible et franchement efficace quand on voit les dégâts !)
Mais à force de toujours en faire plus, parfois Victoria peut nous perdre. Parce que deux heures c'est très long surtout sous cette forme. Certains moments sont longuets, d'autres vraiment longs et ennuyants. Oui, Victoria se compose d'une demi-heure de trop. 1h40 aurait, a mon avis, été le timing parfait qui aurait fait de Victoria un film plus abouti et mieux pensé. Mais, même après avoir dit ça, on se demande où le film aurait pu se finir et la réponse reste difficile à trouver. Car, d'un côté Victoria trouve toujours le moyen de nous recaptiver et d'un autre côté à chaque fois on se dit que le film aurait pu se finir avant.


Finalement, on ressort de Victoria en se disant "Y'a quand même de bonnes idées" mais on ajoute un "mais" à chaque fois. Parce que Victoria souffre d'une longueur excessive. L'idée est à la fois louable mais possède quantité de limites. Un plan séquence pour un film c'est certes une chouette idée sur le papier mais ça fait un peu argument de vente. A quand un film fait tout en travelling ?
A mon sens, Victoria est un prodige technique, avec de biens belles scènes et une sacrée performance d'acteurs de ces jeunes. Mais, il reste un projet qui partait, dés sa naissance, avec un défaut : cette idée de plan séquence. C'est bien beau mais ça limite quelque peu les possibilités du film et cela frustre par moment.
Un avis partagé qui fait aussi la force du film, chacun peut s'y retrouver et trouver ce qu'il aime dans une oeuvre atypique et innovante.

Halifax

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