Plus qu’un simple concept, Victoria est une hallucinante performance artistique, qui impressionne autant par l’audace de l’entreprise que par le respect de son essence cinématographique.
Si le pari du plan séquence unique est réussi, ce qui est déjà miraculeux, ce n’est jamais au détriment de ce qui au final détermine ce qu’est un bon (grand ?) film : une histoire forte, une mise en scène inspirée, des interprètes brillants et investis.
Victoria est la claque annoncée essentiellement parce qu’on ne subit jamais ce fameux plan séquence. Il sert constamment le récit, traduit d’abord la part d’insouciance de la jeune fille puis l’urgence d’une situation qui dégénère. La caméra suit son héroïne avec une étonnante fluidité, s’en éloigne puis s’en rapproche sans à coup. La réalisation ne se contente pas de saisir ces moments, elle les lie avec style, intègre un esthétisme nocturne captivant et se permet de rares effets comme autant de respirations dans la pesanteur du mécanisme, grâce notamment à une utilisation maline de la musique. Mais le procédé, aussi dément soit-il, ne tend qu’à une chose, raconter une histoire, et c’est bien là le principal.
Une histoire d’amour insensée et immédiate, un instantanée de jeunesse drapé d’un romantisme à la limite de l’inconscience, comme il peut l’être dans les plus grandes tragédies lorsque l’innocence est broyée par la réalité du monde qui l’entoure. C’est parce que le personnage de Victoria est d’emblée crédible que le procédé choisi par le réalisateur fonctionne aussi bien et impose une tension grandissante alors que la nuit avance. L’effet est d’autant plus marquant qu’on ne sait au préalable rien d’elle ni de la bande de garçons qu’elle rencontre. On fait leur connaissance en même temps qu’elle, ce qui renforce le lien qui unit l’héroïne au spectateur. Victoria va plonger aveuglement dans cette nuit Berlinoise, et nous de guetter le moment où tout va déraper, sans manquer parfois de s’étonner de l’attitude qu’elle adoptera face aux situations qui se présentent à elle.
Victoria est un thriller en temps réel, concis et direct, mais dense dans son propos. S’il n’y a pas de montage à proprement parler, la précision de la mise en scène démontre un travail préparatoire dantesque (le film n’est que la 3ème prise) pour parvenir à capter ce ballet minutieux et ininterrompu de 142 minutes. Impossible de ne pas être soufflé d’admiration par la performance des acteurs, dont l’intensité et la rigueur de jeu ne faiblit jamais. Quelle concentration, quel portée épique ils insufflent au film !
Victoria n’a donc rien du caprice auteuriste d’un réalisateur nombriliste, mais se révèle une puissante démonstration que la forme et l’audace artistique peuvent servir la raison la plus noble de faire de cinéma, raconter des histoires. Celle de Victoria est remarquable en tout point de vue.