Documentaire sur les leviers de la puissance de Berloscuni et la crétinisation euphorique des masses, Videocracy fut présenté en 2009-2010, soit pendant le dernier mandat de Il Calvaliere. Le président du Conseil était avant tout un homme d'affaires et notamment de télévision, possédant les principales chaînes privées du pays – et finalement contrôlant 90% de l'offre grâce à son pouvoir sur le service public. Videocracy met l'accent sur le modèle relayé par ce biais : la sacralisation de la célébrité dans son entendement le plus vulgaire, via des performances grasses, des savoir-faire ou libidineux, des savoir-êtres grotesques ou stupides, dans tous les cas avilissants et excitants pour le public. L'intelligence en prend pour son grade, mais la recette est juteuse. Autrement dit la télévision de Berloscuni aura pendant des décennies loué un idéal faisant des cheerleaders de Las Vegas des parangons de vertus, du passage dans un 'Incroyable talent' l'occasion de titiller le firmament du prestige.


Le film contient de nombreux extraits de divertissements régressifs audiovisuels, fait le point sur la notion des 'velina' et la vulgarise pour l'étranger : ce sont des potiches exhibitionnistes, assertives seulement pour une danse lascive censée retenir le chaland pendant les transitions. Ces avatars sont outranciers mais ne sont pas propres à l'Italie, la motivation du film est de dénoncer leur normalité, les proportions qu'elles ont prises et l'espèce de dignité (certes inversée) qu'ils incarneraient (dans le sens où il représentent l'accès au sommet de l'expérience humaine, de la hiérarchie et de la réussite au sens communément entendu). Trois cas spéciaux accompagnent la séance : du peuple il n'y en a qu'un, c'est Ricky, jeune mécanicien, culturiste amateur et aspirant sosie dont le but est la célébrité. Un professionnel de la télévision, Lele Mora, cède à la provocation (l'adepte de Mussolini est fier de nous faire écouter ses hymnes sur son portable) après s'être présenté comme le mentor de talents en devenir pour ce qui, basiquement, consiste à propulser des décérébrés à la télé ; et les inviter, tous ces jeunes hommes amorphes ou enthousiastes, unis par la petite tenue, la complaisance et les corps athlétiques, autour de sa piscine, dans sa grande villa otage d'un délire '(la vie) en blanc'.


Le mythe de la 'démolition de l'intérieur' prend un coup rude. Les ennemis déclarés d'un système lui appartiennent quand ils ne font qu'utiliser ses moyens, ses méthodes, regarder ses objectifs, quand bien même ils les dénoncent ou les critiquent. En prenant des photos compromettantes des stars, Corona s'exposait, il a d'ailleurs connu la prison ; mais il ne faisait que gêner des individus et déballer des vérités sales mais au fond triviales. C'est le cas par exemple avec les filles de Berloscuni ; le tarif pour le président et même ses filles n'est pas si élevé, les frasques du premier ne lui ont jamais barré la route. Des petits épisodes de débauches ou des exploits de 'happy few' ne vont au mieux que faire se gausser la plèbe et agacer l'entourage des concernés. Corona a conscience de ne faire que s'attaquer aux 'gros' et aux stars par le bas, reconnaît partiellement l'hypocrisie de cette démarche et totalement la vacuité des retombées. Il se couronne 'robin des bois' avec un titre à rallonge : « qui garde tout pour lui ». C'est un opportuniste franc. Il sait que ses activités consistent à remuer de la merde, ne se fait pas d'états d'âmes, met en avant ce qu'il gagne et se félicite de son audace personnelle. Les gens adorent cet homme et ça lui rapporte, beaucoup d'argent, preuve non pas ultime, mais sûrement la seule qui vaille, de son génie. Corona jouit de cette absurdité, froidement et en plein jour ; le final du Loup de Wall Street était une pique désespérée, le sketch mené par Corona est une démonstration plus profonde et surtout avec une foule bien plus conne. Au moins dans le biopic de Scorsese les gens miroitaient la réussite financière, c'est-à-dire un objectif plus élevé que ramper et kikoo-iser avec des types vus à la télé ou des pseudo-subversifs si artificiels et cyniques qu'ils ne prennent pas le soin de le cacher.


Sur la forme le film est une tribune acide plutôt qu'un documentaire. Il communique une certaine ivresse proche de la nausée, charrie cette 'magie' pour imbéciles en glissant une once de drame et de mystère dans l'atmosphère. La bande-son notamment approche discrètement du thriller réel (ou de la langueur d'une mauvaise descente), pour soutenir une investigation empruntant des chemins subjectifs. Erik Gandini (italien de naissance, suédois d'élection) privilégie donc la mise en scène au détriment du commentaire direct. Il économise cette joie et garde l'engagement frontal pour la fin ; à la révérence il se contente d'indiquer le classement mondial (à mi-chemin) de l'Italie sur la liberté de la presse, l'égalité des sexes et rappelle que la télévision est la principale source d'information pour 80% des italiens. Il en est de même pour les autres pays à cette époque, Internet allait bientôt balayer tout ça (peut-être plus lentement qu'on aurait pu le croire ?), mais ce n'est pas encore le sujet. C'est d'ailleurs la limite de Videocracy, qui reste fidèle à son fondation 'documentaire' : il n'envisage pas l'avenir de Berlusconi et de ces rêves, ne sort pas de ses cases en allant voir ailleurs les équivalents, les différences ou les garde-fous.


https://zogarok.wordpress.com/2017/01/05/videocracy/

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le 3 janv. 2017

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