Amador nous apparait hors de son élément. Sortant de deux ans de prison, cet homme, accusé d'incendie volontaire, préfère étrangement marcher sous la pluie, l'air abattu, plutôt que de monter dans la voiture qui propose de l'emmener jusqu'à son village. La rédemption est-elle possible dans ce lieu isolé où les rumeurs vont bon train ? Difficile de statuer sur la culpabilité de cet homme qui semble droit dans ses bottes mais au visage totalement impénétrable. Un motif d'incertitude qui résonne avec le style du film dont l'image, pourtant purement ancrée dans le réel, flirte parfois avec le fantastique.


Viendra le feu joue brillamment sur la corde du réalisme magique dès son ouverture où des arbres semblent s'écrouler d'eux mêmes en grand fracas et accompagnés par du Vivaldi aux notes sombres jusqu'à ce qu'on découvre que des machines (conduites par des hommes) sont en fait à l'origine de ce violent défrichage. Machines qui semblent inarrêtables et qui pourtant stoppent net en arrivant devant un arbre différent, qui semble plus sage et majestueux, qu'on n'oserait abattre. Cet aspect indécis et nébuleux se retrouve dans la parcimonie des dialogues. Le film nous laisse peu pénétrer la psyché des personnages assez austères, mais le jeu de la caméra et du montage laisse des indices flous (à l'image du grain donné par la pellicule) sur leurs motivations, renforçant l'aura de mystère du film. Amador s'est-il épris de la vétérinaire ? Le jeu de montage final qui nous fait perdre de vue Amador est-il une preuve de sa culpabilité ?


Malgré une certaine rigueur de thèmes et de jeu, Viendra le feu n'est pas exempt d'émotion et de beauté. Une certaine mélancolie habite la manière de filmer les paysages Galiciens et les animaux (comme ce cheval aveugle et décharné). Cette beauté se concentre sur une scène ou l'association étonnante d'un regard bovin et de la chanson Suzanne de Leonard Cohen vient cristalliser l'émotion d'une rencontre. Le climax du film, au cœur de l'incendie annoncé par le titre vaut aussi à lui seul le détour. Rappelant les scènes des Moissons du ciel et tournées de manière documentaire, la fascination pour le feu est totale.


Viendra le feu pose la question de la possibilité d'une harmonie entre l'homme et la nature (l'importance de la terre - qui bouche la source, de l'élevage, la manière dont un homme s'accroche à sa propriété lors de l'incendie) et en même temps rappelle sa propension à la destruction (les pelleteuses du début, la figure du pyromane) mais parfois pour mieux la préserver (les pompiers obligés d'allumer un contre feu pour bloquer l'incendie). Sans oublier les relations sociales à travers quelques figures archétypales (la mère, l'aimée, l'ami) mais plutôt éloignées des clichés, Oliver Laxe brasse une multitude de questions philosophiques dans un temps réduit et une simplicité (dans le bon sens du terme) de mise en scène qui, pour sûr, impressionne.

yhi
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le 4 sept. 2019

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