Vincent, François, Paul et les autres... par Alligator
Fev 2011:
Y a-t-il un film plus proche de Claude Sautet (ou plutôt de l'image qu'on peut s'en faire) que ce film là? Une bande d'amis, des rires, de la bouffe, de la picole, des engueulades, Piccoli, Montand, de l'amour, des non-dits, de la solidarité, de la solitude aussi, des regards, beaucoup de regards, des bagnoles, de la pluie, des vitres qui reflètent malgré leur fausse transparence des instants de vie et une caméra très attentive qui suit les personnages en quête d'un mot, d'une fuite, d'une respiration qui fait avancer le schmilblick de tous ces gens qui se bousculent en même temps qu'ils s'aiment.
Est-ce Vincent (Yves Montand) qui trace la ligne centrale, l'axe du film? Pas sûr. François (Michel Piccoli) à travers ses déboires conjugaux ou Jean (Gérard Depardieu) et son combat de boxe si dangereux offrent d'autres ouvertures, des échappatoires, des temps de pause dans le parcours chaotique que subit Vincent. Ce dernier, entre la difficile acceptation de sa rupture avec une femme qui n'en peut plus, encore amie mais sûrement plus du tout épouse (Stéphane Audran) et la banqueroute de son entreprise qui s'annonce inéluctable, est bouleversé par cet accident de vie où tout ce que vous croyiez solide devient poussière et ruisselle entre les doigts. Forcément responsable, Vincent trouve avec sans doute le soutien tacite de ses copains les moyens de retomber sur ses pattes afin d'entamer une nouvelle vie.
Dans ce film de bande, de copains, Claude Sautet et Jean-Loup Dabadie excellent de manière finalement imperceptible à dévoiler des pans de leurs propres personnalités, de leurs histoires, de leurs intimités, que ce soit dans la grandiloquence d'un Yves Montand, l'appétence pour la bibine de Serge Reggiani, le courage physique d'un jeune Gérard Depardieu ou bien encore l'impulsivité colérique d'un Michel Piccoli.
Les femmes sont au spectacle, aiment les hommes tels qu'il sont, du moins certaines essayent-elles. D'autres s'en lassent, avec tristesse, d'autres encore ne comprennent toujours pas. Peu agissent. Aucune ne parvient à briller autant que ces astres mâles, alors elles fuient.
Comme toujours, sans pour autant jamais jeté un quelconque voile sur leurs défauts, Claude Sautet filme ses personnages avec cette incroyable tendresse. Un peu voyeurs, les spectateurs assistent à leurs agitations collectives comme à leurs plus intimes moments de vérité grâce à une caméra toujours focalisée sue eux, l'environnement n'ayant que très peu d'importance. Elle les scrute et le public est donc placé au milieu de la foule et ses remous, en témoin des petits comme des grands drames mais une certaine distance est suffisamment maintenue pour que ce ne soit pas dérangeant, trop invasif. Du reste, les personnages sont très pudiques. C'est vraiment bien fait.
Quand on énumère tous les noms de la distribution, on a l'impression que Claude Sautet a convoqué tout le cinéma français. Casting impressionnant qui tient ses promesses : de grandes scènes compliquées sont menées à bien dans la justesse et l'équilibre.
On a quelque fois peur qu'Yves Montand n'en fasse un peu trop (comme dans "César et Rosalie" par exemple), ne se caricature en somme. Non seulement il y échappe mais sur quelques plans, il n'est plus Montand face à une caméra mais bien Vincent perdu, saccagé et hébété devant un avenir incertain.
Michel Piccoli joue la cocotte minute avec une perfection qu'on lui connaissait déjà... les fameuses gueulantes de Piccoli.
Serge Reggiani vieilli, rond et plissé joue l'ami pétri de chaleur et l'âme blessée, l'écrivain dans l'impasse avec une manie inquiétante.
Gérard Depardieu est un Jean plus effacé que ses compères, plus jeune il est vrai. Comme pour les femmes, son caractère a du mal à s'imposer, à s'extérioriser.
Les femmes parlons-en, elles sont plus spectatrices. Se faisant, difficile d'en détacher une plus qu'une autre. Stéphane Audran, toujours aussi belle et énigmatique est une femme statue qui regarde avec affection, tristesse et lassitude le canard de plus en plus boiteux Montand. Elle allie mystère et désolation dans son regard.
Antonella Lualdi est une actrice que je ne connais pas du tout. Ici elle est amoureuse de son Paul (Reggiani) et l'entoure d'une affection très maternelle, pas étonnant, elle est italienne!
Et puis bien sûr, Marie Dubois dans un rôle loin d'être évident, très dur, refroidi par la violence de François (Piccoli) racorni et qui ne s'illumine qu'avec difficulté.
Autre italien de la troupe, Umberto Orsini me fait penser à ce lien évident qu'on ne souligne pas assez entre le cinéma de Sautet et la comédie italienne, ces films où les personnages se cachent derrière des masques, des poses, des leurres pour finalement laisser éclater leur vérité avec plus d'humour que chez Sautet, souvent grave. Mais la tendresse du regard posé sur les personnages est très émouvante même si elle ne débouche pas forcément sur les mêmes expressions et les mêmes émotions.