Vous allez rencontrer une belle et sombre inconnue

Elle s’appelle Violette Leduc, elle est née bâtarde en 1907, à Arras. Martin Provost lui consacre un film, Violette. Le film revient sur sa rencontre avec Simone de Beauvoir. C’est juste après sa lecture de L’invitée, juste après la guerre, que Violette décide, au début du film, de donner son tout premier manuscrit à Simone de Beauvoir. Rencontre littéraire pour l’une, obsédante pour l’autre. C’est l’écriture, toujours, qui dominera leur relation. De toute façon, "on ne peut pas être amie avec Violette", comme le dit Simone. Mais au fait, c’est qui Violette Leduc? Le film se focalise sur plusieurs étapes de la vie de l’auteur.

Si l’on en croit Martin Provost , sa vie littéraire, qui commence pendant la guerre, peut se résumer en 7 chapitres, qui découpent (un peu maladroitement) son film. "Maurice" (Sachs), celui qui lui donne envie d’écrire, par la haine renvoyée. "Simone", qui la lance, la maintient, la transporte en littérature. "Jean" (Genet), son ami, qui tantôt l’exalte, tantôt la fâche. "Jacques" (Guérin), le parrain. "Berthe" (Leduc), sa mère, objet de son premier livre, de sa vie surtout. "Faucon", la découverte capitale. Et enfin, "batârde", l’essentiel, ce qui construit Violette dans le film, totalement, inlassablement.

2h19, c’est tout de même parfois un peu long pour raconter Violette. Même si le film parvient à trouver un souffle particulier, exaltant, presque, dans ses moments de vie. Violette ça aurait pu être n’importe qui mais c’est une grande prêtresse des mots. C’est sur ce point que revient le film, en plusieurs parties, qui permettent de se faire une vision personnelle de Violette Leduc, femme et, avant tout, écrivain.


Violette écrit pour raconter sa vie. D’abord, asphyxiante, celle de son enfance, de ses doutes et de ses retards. Celle surtout des impossibles amours auxquels pourtant elle s’accroche à grand renfort de cris et de larmes. C’est la première partie du film, pendant la guerre. Puis affamée, dans son désir de Simone, qu’elle aime mais qui n’est là que pour l’écriture, par devoir de révéler une plume. Seconde partie du film, plus hystérique. Et enfin, pour clôturer le film, une vie de ravages, où elle conte ses expériences sexuelles tout autant féminines que masculines.

Ce n’est pas une histoire d’amour que raconte Violette, car il n’y en a pas. Violette, se sent seule, se croit seule, se rend solitaire par son caractère. La caméra s’obstine à la filmer seule, pleurant, geignant, en gros plan comme pour accentuer sa solitude, l’écraser.

Elle écrit l’érotisme sans le vivre pour autant. Violent contraste entre ce qu’elle écrit dit en voix off et ce que montre l’image. Pourtant,malgré le "gouffre" (terme employé par Simone de Beauvoir) qu’elle ressent entre la vie vécue et l’érotisme du livre, elle est la première femme à parler du désir comme "aucune autre auparavant" (selon Simone de Beauvoir). Elle n’épargne rien: "C’est baroque. C’est un sexe d’homme dans une main de femme. C’est pourtant la racine du monde", écrit-elle entre autre, après une nuit d’amour fade filmée par Martin Provost. De ses amours homosexuelles, à son mariage éphémère, Ravages parlera sans discontinuer. Et surtout, elle contera sans retenue, son avortement. Érotique donc, féministe peut-être, comme le sent inlassablement Simone de Beauvoir dans son soutien. Féminine, pas tellement. Violette reste surtout une femme qui ne voit pas les êtres mais "écri(t) pour les aimer" (Violette Leduc dans une lettre à Simone de Beauvoir).

Enfin, de sa fiction de solitude, Violette passe à l’apprivoisement. C’est la dernière partie du film. Elle quitte Paris, tombe amoureuse d’un coin de verdure. Et là, celle qu’on n’a pas reconnue, celle qui répète sans cesse "personne ne veut de moi", se comprend enfin. Pas totale parce qu’amputée d’une reconnaissance paternelle et maternelle, elle écrit enfin sa vie, depuis sa naissance. Avec en plus, cette certitude d’être arrivée au bout. De se connaitre différemment. Pleinement. Et d’accepter qu’elle n’est pas seule dans sa souffrance "mon cas n’est pas unique, j’ai peur de mourir et je suis navrée d’être au monde" (extrait de La Bâtarde, Violette Leduc). Martin Provost fait de cette bâtardise une condition d’artiste, notamment dans une scène où Jean Genet se dit orphelin. Le réalisateur voit d’ailleurs dans cette femme comme un double de lui-même, que l’art sauve.

Biopic original, si l’en est, parce qu’il revient sur la vie d’un personnage peu connu donc à priori peu attirant, Violette parle avant tout d’un écrivain qui a connu un succès tardif. La bâtarde surgit après 3 autres livres au succès moindre, L’asphyxie, L’affamée, Ravages. Mais surtout, il montre aussi une face de Simone de Beauvoir moins mythique, moins posée. La Simone sans Sartre, loin de ce que le cinéma a l’habitude de nous montrer du célèbre écrivain du "Deuxième sexe". Pas de grands effets, ici, mais des moments de vie d’une femme qui grandit en s’écrivant au monde. Martin Provost, ne s’en sort pas si mal avec ses portraits de femmes inconnues. En 2010, il avait parlé de Séraphine, peintre méconnu, la presque sœur de Violette. Des femmes que seules l’écriture, la peinture, bref que l’art seul fait avancer, pas l’égocentrisme. Et c’est au bout du chemin qu’elles finissent par l’apprendre… Violette s’installe alors paisiblement à la campagne et ne fait plus qu’écrire, en silence, sans cris, apaisée.

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le 7 nov. 2013

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eloch

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