Dernière cigarette avant la fin du monde

Dans ma tête, après toutes ces années, dansaient encore des images du film au rythme de Playground Love.
Parmi ces images, celle d'une portière de voiture par laquelle pend le bras d'une Lux éteinte la cigarette à la main.
Je me demandais s'il y avait du génie dans Virgin Suicides, ou s'il avait seulement fasciné l'adolescent naïf que j'étais à l'époque de mon premier visionnage.
Je me souvenais vaguement d'une douce poésie. D'un autre côté, je craignais que le film ne dégouline de clichés. Comme ce prince charmant en mousse ; " c'était trop facile avec les autres, mais elle, elle ne me regardait pas", qui délaisse Lux après l'avoir possédée … "C'est bien un truc de fillasse, ça, les soit-disant beaux connards qui ne cherchent qu'à conquérir", me disais-je.
C'était quoi, ce film, à la fin ?
Une énième dénonciation du puritanisme et de la monotonie de l'Amérique profonde ? Un délire à l'image de Sofia Coppola, fille gâtée qui s'invente des problèmes ?
Eh bien, pas du tout … Je suis ébloui par ce second visionnage.
Un humour mélancolique, un cynisme bienveillant, accompagne tous les passages stéréotypés sur l'adolescence pour aider ce film funambule à garder l'équilibre.
De plus, procédé habile pour éviter de tomber dans le ridicule, l'histoire est racontée d'un point de vue adulte ; par des hommes qui ont connu ces filles lorsqu'ils étaient plus jeunes. L'(in)action se déroule dans le passé, ce n'est pas par hasard. Virgin Suicides est une perle de nostalgie. D'ailleurs, le narrateur porte un regard morne sur les événements du quartier postérieurs au suicide des soeurs.
Un film plat ? Mais, il n'est pas question de suspense dans Virgin Suicides, d'ailleurs, la fin est révélée par le titre et par la première phrase du film "Cécilia was the first to go". Premier plan du film : une basse nous joue quelques notes gracieuses, Lux savoure une glace et profite de la chaleur des derniers rayons d'un soleil estival. Quelques images d'un quartier banal mais sublimé par la lumière vespérale, la musique s'arrête, plan fixe sur des bouteilles de parfum. En quelques secondes : l'ouïe, le goût, le toucher, la vue, l'odorat. Et déjà Cécilia se coupe les veines. On ne connaitra que deux des cinq soeurs, Cécilia et Lux. Cécilia se suicide au début du film, blasée par une soirée au cours de laquelle l'inanité des propos tenus par les charmants jeunes hommes n'a d'égale que leur cynisme quand ils se moquent d'un handicapé mental pour faire rire leurs proies. Lux n'a pas le même tempérament, elle tente un moment de vivre. Traînée céleste, elle couche à la belle étoile ; elle a besoin d'Air, finira asphyxiée.
Pourquoi ? Le narrateur nous met en garde : lui et ses amis ont essayé pendant des années d'éclaircir le mystère en vain. Il esquisse tout de même une réponse : "nous avions des pièces du puzzle mais chaque fois que nous tentions de les assembler, il subsistait des lacunes : l'étrange forme vide dessinée par ce qui les entourait semblable à la carte de pays inconnus. Ce qu'elles avaient laissé derrière elles n'étaient pas la vie, mais une liste banale de choses ordinaires." Si l'on peut surmonter n'importe quel obstacle, se relever après n'importe quel drame, peut-être est-ce en revanche impossible de survivre à la vacuité. Cela dit, le film ne cherche pas à justifier le choix des jeunes filles, c'est ce qui fait sa force : "nous les avons aimé et elles n'ont pas entendu notre appel".


Sofia Coppola débute sa carrière sur un coup de génie, et aura malheureusement beaucoup de mal à renouveler l'expérience.
Chanclissard
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le 22 mai 2014

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