Le film-scandale palmé or de Luis Bunuel est paradoxal, mysogine et biblique.

Après mon cycle Truffaut de novembre 2013 et les deux films proposés par la télévision pour célébrer Jean Cocteau (toujours en novembre !), je ne pouvais pas ne pas passer à côté d'un tel événement. Celui qu'Arte a proposé en juillet (2013) méritait toutes les attentions : la célébration du trentième anniversaire de la mort de Luis Bunuel, cinéaste inclassable et véritable artiste de son époque. Je n'ai pas enregistré tous les films que proposait la chaîne franco-allemande, en revanche, je me suis permis d'en sélectionner quelques uns (chronologiquement, par ordre de sortie) : "Viridiana", "Le journal d'une femme de chambre", "Belle de jour", "Tristana" et "Cet obscur objet du désir". Je vais ainsi partager mon opinion dans mes critiques et je serai ravi de pouvoir continuer sur les forums. Je me suis aussi permis de regarder en premier le documentaire inédit sur Bunuel pour me faire une idée sur le metteur en scène d'origine espagnole. Un très bon documentaire agrémenté par les commentaires de Bunuel fils, Michel Bouquet, Catherine Deneuve et Carole Bouquet notamment. A noter : "Viridiana" est le premier film que je vois de l'artiste Bunuel. Mais revenons un peu plus sur le film de 1961 mis en scène par Luis Bunuel et tourné en Espagne, tout juste après sa période mexicaine ("Los olvidados", "El"). Scénario (de Bunuel, bien sûr !) : la jeune femme Viridiana souhaite entrer au couvent. La Mère supérieure lui ordonne d'aller voir une dernière fois son oncle avant d'exaucer son souhait. Mais l'oncle fait tout pour que sa nièce reste, tente d'abuser d'elle, puis va jusqu'à se suicider par remord. Choquée, Viridiana ouvre les portes du domaine, héritage de son oncle, pour faire don de charité aux plus démunis. Bunuel dépeint cette arrière-société sombrement dans un climat décidément austère. La première partie est excellente tandis que la seconde tombe un peu plus dan le prêchi-prêcha (à mon goût). Excellence des quarante premières minutes grâce à l'interprétation sans fausse note du duo Silva Pinal (magnifique de sensualité en Viridiana. Revue dans "L'ange exterminateur" et "Simon du désert")-Fernando Rey (jouissif au possible dans ce personnage monstrueux. L'un des acteurs fétiches du réalisateur : "Tristana", "Le charme...", "Cet obscur..."). Ici, c'est sur l'interprétation générale qu'est portée le film. Par la suite, il s'agit plus pour Bunuel de montrer les charmes discrets inhérents à l'humain (bien discrets, même. Ironie). Cette partie, même si elle a l'avantage d'être tournée sous différents angles de vue (précision du montage, plans plus ou moins serrés faisant référence par endroit à du surréalisme), se caractérise par la folie destructrice des hommes. Affabulateur, Bunuel va jusqu'à parodier la Cène, l'image biblique par excellence, pour en faire une démonstration de chair, d'orgueil, de pessimisme, de narcissisme, de noirceur, de vide intérieur viscéral. Bunuel fait de ce plan, devenu culte avec le temps, ue peinture glauque et un blasphème pour l'Eglise. Dans ce climat austère à souhait, pas d'interprétation générale, mais plus le sentiment de faire partie de cette orgie à laquelle tout un chacun est convié. D'un regard acerbe et sans aucun respect pour l'homme (et l'Eglise !), Bunuel ne se fourvoie pas dans la décadence la plus totale, il reste dans la constatation et la description d'un groupe d'être humain. Luis ne se range pas dans la catégorie qui juge mais pointe simplement du doigt (et quel doigt !) la décadence et la noirceur de l'être humain dans toute sa splendeur. De la misogynie filmée à un degré élevé de noirceur. Un régal ! Quel pourfendeur ce Bunuel (il faut le dire !) !! Pourquoi cette partie est-elle en dessous de mes espérances ? Elle me gêne tout simplement. Non pas que Bunuel n'arrive pas à ses fins, mais le réalisateur du "Chien andalou" assène des valeurs avec une telle virulence que les sentiments qui ressortent de "Viridiana" font que je me sens dans une posture assez grossière de gêne. Oui, je comprends que le film n'ait pas été acclamé par la critique et censuré. Au final, on ressort de "Viridiana" sans conviction et avec une vision assez paradoxale quant à la scène finale (la chanson rock n'roll "Shimmy doll" d'Ashley Beaumont parachève les visions négationnistes de la religion en général). Les paradoxes, Bunuel les accumule pour s'en accommoder au maximum. Yes, we can. "Viridiana" : le modèle d'une société très crue où fanatisme, fétichisme et corruption de l'esprit vont de pairs. Un film à regarder pour une culture cinématographique à compléter. Sinon, les amateurs de Bunuel seront comblés. Remarque : récompensé par la Palme d'or pour sa quatorzième édition à Cannes en 1961, "Viridiana" est le scandale de plus pour Luis Bunuel. Yes, he can.

brunodinah
4
Écrit par

Créée

le 10 mai 2019

Critique lue 908 fois

brunodinah

Écrit par

Critique lue 908 fois

D'autres avis sur Viridiana

Viridiana
Sergent_Pepper
8

Sous les meilleurs hospices

« J’aimerais ne pas revoir le monde » : le souhait, formulé par Viridiana, qui s’apprête à prononcer ses vœux pour une réclusion totale au couvent, est déjà en soi une forme de provocation par...

le 9 févr. 2021

25 j'aime

Viridiana
Watchsky
9

Un Scandale

1960. Après plus de 25 années passées en exil au Mexique, Luis Buñuel revient en Espagne, sa terre natale, pour y réaliser Viridiana. Ce qui aurait dû être un retour triomphal de l'enfant du pays va...

le 7 mai 2021

16 j'aime

7

Viridiana
Templar
8

Palme d'Or 1961

La Palme et la religion : Cannes est souvent le terrain de bien des protestations, les huées et les sifflets, les gens qui sortent de la salle pendant la séance... Le public a ses caprices, et les...

le 22 déc. 2011

15 j'aime

1

Du même critique

Point Break - Extrême limite
brunodinah
8

Un bijou du film d'action des 90's blockbusterisé par Bigelow avec Reeves-Swayze. Surfin' USA !

Avant de m’immiscer dans l’univers de « Point Break », j’ai décidé de me pencher un peu plus sur l’acteur qui a toujours surfé sur la vague durant les 90’s (que ce soit avec Van Sant sur « My own...

le 14 déc. 2023

5 j'aime

2

La Belle et le Clochard
brunodinah
8

Pour le 7e art, W. Disney ancre avec brio une nuit légendaire entre deux chiens. Mythique. Rêvons...

En sortant de mon visionnage, j’ai eu envie de crier : « Waouh ! ». En effet, il s’agit bien d’un coup de cœur. Ou quand le septième art déballe ses effets et nous emballe. J’ai l’impression de...

le 22 avr. 2022

5 j'aime

3

La Mort aux trousses
brunodinah
8

Classique hitchcockien. Thriller obsessionnel, suspense troublant. Espion, 'la mort nous va si bien'

Il m’est aujourd’hui difficile de poser et de peser mes mots sur « La Mort aux trousses ». Je l’ai découvert lorsque j’étais adolescent, et c’est vrai, les films que l’on découvre tôt sont...

le 27 nov. 2021

5 j'aime

3