34 ans après sa sortie, je sors de mon premier visionnage de ce qui est aujourd’hui un film culte. À raison ? Et bien à chaud, j’ai bien du mal à voir pourquoi il ne le serait pas. Et pourtant, d’un strict point de vue de cinéma, Milos Forman ne révolutionne rien ici. La réalisation est sobre, l’intrigue peu surprenante et je ne me suis personnellement pas senti submergé par mes émotions. Mais est-ce vraiment là l’essence d’un film culte ? Car là où Vol au-dessus d’un nid de coucou frappe fort, au-delà de ses acteurs qui jouent une folie si naturelle qu’on se demande si elle n’est pas réelle, c’est qu’il est multiple. Multiple dans ce qu’il essaie de montrer, mais encore plus dans ce qu’on peut en tirer. Une parabole de l’autoritarisme communiste de la Tchécoslovaquie natale du réalisateur ? Un pamphlet contre la psychiatrie de l’époque ? Une fable humaniste sur la folie ? Il est tout ça à la fois et bien plus encore, et c’est ainsi qu’il sait toucher chacun d’entre nous. Et cela m’inclut.


Touché par ce qu’il dit de la différence. Touché par ce qu’il raconte de notre Histoire. Touché par la manière dont il résonne encore aujourd’hui. La lobotomie a beau être de l’histoire ancienne, et la psychiatrie avoir évolué vers plus d’humanité, il n’en résonne pas moins trois décennies plus tard. Et comment cela pourrait-il cesser ? La question de la folie ne cessera jamais d’interroger l’essence de notre humanité. Où s’arrête la différence et où démarre la folie ? Comment vivre avec, qu’elle soit notre ou celle d’autrui. Comment la société peut-elle l’accepter en son sein ? À travers le personnage de McMurphy, c’est bien ces questions qui nous sont renvoyées. Et comment ne pas se projeter dans cet hôpital et imaginer notre réaction en y entrant. Tant d’entre nous y ressentiraient de la peur puis de la pitié face à ces pauvres hommes qui semblent aliénés de la réalité. Et je ne peux m’empêcher de penser que je serais plus proche des personnages du docteur ou de l’infirmière que de n’importe quel interné. C’est pourquoi ce film résonne tant en moi. Il remet de l’humanité dans ces personnes qu’on ne voit pas, qu’on évite, qu’on marginalise. Il nous rappelle qu’avant d’être des fous, ces sont des gens, et qu’ils méritent autant que moi de vivre leur vie comme ils l’entendent. Il est si facile d’oublier toutes ces personnes que l’on isole soi-disant pour leur bien, là où il s’agit en fait de « préserver » la société de ceux qui ne s’y intègrent pas naturellement. Si cet hôpital évoque tant une prison, c’est bien parce qu’elle occupe la même fonction : cacher ces monstres que l’on ne saurait voir. La société trie tout de même ses déchets, on ne mélange pas les fruits malades avec les autres : on leur imagine une seconde vie dans un compost, là où les autres croupiront dans une déchetterie (qu’on ne brule plus de nos jours heureusement).


Mais qui fait le tri ? Qui identifie les déchets ? Qui décide lesquels ont droit au compost ? Quels sont les critères ? Il semblerait que nous puissions tous être le déchet de quelqu’un. À chaque époque ses règles, à chaque groupe nation ses psychoses. Et si l’on ne peut nier l’existence de la folie, il paraît bien difficile d’en établir les frontières. Il suffit d’un rien pour pousser la solitude dans la démence, et c’est avec cette frontière que le film joue si bien. Au point que l’on se demande parfois en quoi certains personnages sont fous. La seule chose qui semble séparer Billy d’un jeune homme comme les autres est qu’il est timide et bègue. Sa folie lui a été imposée par autrui et s’est insinuée en lui, parasite destructeur de sa volonté. Et face aux espoirs mourant, Forman nous livre en avance sur son Amadeus et sur Johnny, son prélude d’un Requiem pour un fou. À l’instar de Mozart, peut-être vaut-il mieux laisser l’œuvre inachevée, nous laissant entre espoir et résignation.

Tamernak
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le 10 juin 2019

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