Vous n'avez encore rien vu par gagaone
Si on se plaint toujours que les bandes-annonces dévoilent le film dans sa totalité, celle de « Vous n’avez encore rien vu » ne laisse rien transparaitre et conserve son suspense. En y allant, on ne sait pas trop à quoi s’attendre : un rassemblement d’acteurs éminents, un réalisateur de renom, un scénario qui peut faire penser à celui du Cluedo ou des 10 petits nègres.
On est bien loin du compte. Effectivement cela commence comme dans le jeu de société ou dans le livre d’Agatha Christie, avec la mort annoncée aux personnages de l’hôte qui va les réunir. Les convives sont les comédiens eux-mêmes appelés par leurs vrais noms qui se rassemblent chez Denis Podalydès, qui tient le rôle d’Antoine d’Anthac, leur ancien metteur en scène.
Dès le départ, les 13 comédiens, sont justement déjà mis en scène : annonce de la mort de leur ami et leurs réactions, et rassemblement chez le défunt. Dans la grande salle, qui les accueille tous, des canapés sont disposés, annonçant la projection d’un message de leur ami. Podalydès les invite à juger de la pièce dans laquelle ils ont tous joué suivant les années, Eurydice. Il les caractérise tous dans leurs rôles passés et les remercie pour leur contribution aux rôles comme à la pièce. Face à l’écran les comédiens, chacun dans une posture bien distincte, sont déjà pris dans le jeu et sont déjà dans l’espace scénique.
Commence alors une formidable interprétation à 3 voix données par 3 couples. Les premiers sont les jeunes comédiens de la Compagnie de la Colombe, qui ont l’âge estimé d’Orphée et d’Eurydice, les seconds, charismatiques, sont Pierre Arditi et Sabine Azéma, les derniers, charmants, sont Lambert Wilson et Anne Consigny. La pièce jouée par des comédiens inconnus, dans un décor un peu désaffecté (bidons bombés, tables en bobines de chantier…) filmée et projetée aux autres acteurs, qui comme pour se souvenir, répètent les textes avec un sourire nostalgique. Jeu de miroirs, les acteurs deviennent comédiens de théâtre.
L’espace se brouille ensuite : les acteurs jouent la scène en regardant la vidéo, leur donnent la réplique ou s’adressent directement à eux, se retrouvent dans des décors travaillés et stylisés (café de la gare, quai de gare, chambre d’hôtel) qui sont mélangent les codes de ceux du théâtre avec ceux plus réalistes d’un film. On assiste à l’incroyable fusion des deux genres.
Parachevant l’ensemble, le texte de Jean Anouilh, magnifique. Le propos ouvre des questions essentielles : l’amour véritable, l’honnêteté, la jalousie, la fierté, la lâcheté, la frivolité, la perte de l’autre, le sens intime de la vie. Plus précisément, et plus encore le questionnement que toutes ces notions font naître : quelle est l’image que l’on a de soi ? Comment faire entrer en correspondance cette image avec celle que l’autre a de nous ? Doit-on s’y conformer au nom de l’amour ? On voit se dessiner également ce que l’on s’autorise à être et ce que l’on permet à autrui. Les questions plus intemporelles aussi de la manière dont on envisage le couple : qu’il soit restreint à un instant fulgurant et magique mais tragique, ou qu’il soit un compromis, une complaisance partagée entre deux individus ici illustré par Anny Duperey et Michel Villermoz. Quel mal y a-t-il à vivre son histoire d’amour ainsi ? On aime tout de même passionnément, on partage avec l’autre, demande Anny Duperey.
Mathieu Almaric, magnifique Hadès, introduit la question de la vie et de la mort. La vie s’agrippe et elle fait souffrir alors que la mort compréhensive, délivre, et elle est souvent comparée à une « douce amie ». Il dessine, avec ces métaphores de couple, le rapport immédiat que l’on entretient à la vie dans l’instinct de conservation par exemple, et avec laquelle les questions de tolérance et de « bonne entente » sont encore plus capitales. Compagne indéfectible, c’est à nous de décider du rapport très personnel qu’on entretient avec la vie.