Yasujiro Ozu figure, auprès d’Akira Kurosawa et de Kenji Mizoguchi, parmi les cinéastes japonais majeurs du XXe siècle. Ses classiques ont bénéficié, cet été, d’une nouvelle sortie en salles, ce qui fut l’occasion de découvrir l’un de ses films les plus emblématiques, Voyage à Tokyo.


Dans une petite ville japonaise, un couple de personnes âgées s’apprête à partir pour Tokyo afin de rendre visite à la famille. C’est l’occasion de se réunir, de se retrouver, de prendre des nouvelles… Les grands-parents sont ravis, les enfants contents, les petits-enfants surpris. Dans l’immense capitale japonaise s’amorcent les retrouvailles, mais, pourtant, tout ne s’avère pas si féerique et heureux. Rapidement, on constate que les parents sont accaparés par leur quotidien et leur travail, que leurs enfants suivent. Pendant ce temps, les grands-parents observent, s’interrogent, pensent, au beau milieu de ce tumulte et de ce cocon familial plus éclaté qu’ils ne l’imaginaient. C’est alors que Voyage à Tokyo vient nous offrir une réflexion sur les relations familiales et les effets du temps sur ces dernières.


Pour ce faire, Yasujiro Ozu nous propose de voir et de participer à des instants de vie et du quotidien. Des moment simples et connus de tous, comme un repas en famille, ou la préparation à une excursion pour la journée. Le cinéaste prend son temps pour exposer la situation, présenter les personnages, les décors, et décrire cette famille que nous suivons pendant deux heures. Son objectif est de projeter le spectateur lui-même au sein de cette famille, de lui donner le temps de s’identifier aux situations. La grande force de Voyage à Tokyo, c’est cette capacité à rendre vivant le quotidien, à capturer l’essence des choses simples pour la retranscrire au cinéma, et toucher le spectateur. Car retranscrire des choses authentiques et simples est probablement l’une des choses les plus difficiles à faire au cinéma. Mais ce n’est vraisemblablement pas un obstacle pour le cinéaste japonais.


Dans Voyage à Tokyo, la famille est le sujet principal, mais il demeure indissociable de la thématique du temps, qu’Ozu illustre notamment à travers l’isolement des grand-parents. Piliers de la famille, ils en deviennent des satellites, dont on ne sait plus trop que faire, que l’on finit par délaisser, pour se concentrer sur sa propre vie. Ozu illustre le lien rompu entre les générations, entre des anciens qui peinent à suivre un monde qui va de plus en plus vite, et des plus jeunes qui ne prennent plus le temps de les attendre. De manière plus large et conceptuelle, c’est une réflexion sur nos liens avec le passé, la vie et la mort. A travers les anciens, le passé est représenté comme quelque chose qui nous a porté, et qui nous suit toute notre vie. On a tendance à le fuir, et on oublie que tout ce qui nous a façonné provient de lui.


Yasujro Ozu nous offre ici un très beau moment de cinéma, plein de justesse et de délicatesse, plein de mélancolie, mais aussi parsemé d’instants d’allégresse et de rire, comme la virée nocturne et alcoolisée du grand-père avec ses amis, qui rappelle ces moments que l’on a tous pu vivre un jour ou l’autre. C’est une histoire simple et vraie mais, surtout, très bien racontée et filmée, magnifiée par une superbe photographie qui apporte cette touche poétique qui embellit ces scènes du quotidien. Un très beau film.


Critique écrite pour A la rencontre du Septième Art

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le 15 oct. 2020

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