Il faut voir un jour "Voyage à Tokyo" pour partager un moment de douceur (et de peine) avec une famille japonaise qui vit le plus simple des drames : la confrontation douce-amère des générations, et le passage du temps. Je ne sais pas si c'est le meilleur de ce cinéaste, mais c'est certainement un des films les plus touchants que j'aie vus depuis un bail. Cette famille, ces parents âgés , leur quatre enfants et leur belle-fille veuve, passent en quelques plans du statut d'icônes à celui de proches de notre vie à nous et on a le sentiment de les avoir connus personnellement, au bout de ces 2h16 de projection. On reconnaîtra certes les acteurs d'autres films de Ozu, notamment "Printemps tardif" et "Eté précoce", mais la magie n'en est pas affectée.


Le film raconte la visite de parents à leurs enfants, qui vivent à Tokyo. Ozu observe la lente dissolution de l'affection des enfants, occupés qu'ils sont par leur propre vie (j'aime que Ozu montre toujours ses personnages dans leur cadre professionnel) , leurs propres soucis , tandis que peu à peu leurs parents leur devient plus... encombrants... Ce constat est démontré de façon latérale, les enfants envoyant leur parents en visite dans une spa de luxe, après s'être renvoyer les uns aux autres la charge de distraire ces vieux visiteurs. Ozu garde une tendresse pour tous, pour les parents, qui ne sont pas dupes du glissement des affections, pour leurs enfants qui les aiment mais se laissent happer par la facilité ou la lassitude et commettent des maladresses (comme envoyer des personnes âgées dans un centre trop fréquenté par plus jeunes qu'eux...).


Tetsuko Hara joue ici le rôle émouvant de la veuve du fils, disparu 8 ans auparavant durant la guerre. Elle rayonne dans ce rôle, rachetant par son sourire les insuffisances de sa belle-famille. Les parents sont joués tout en retenue, avec notamment une amusante scène de retrouvailles arrosées entre le père et d'anciens frères d'armes. Tous les personnages ont leur vie propre, leurs tics, leurs pensées qui affleurent et font de cette famille un lieu quasi réel. Étonnant. Ozu laisse aussi place à un pessimisme certain , en contraste avec d'autres œuvres, sur ce détachement des générations. Heureusement , il propose une palette de caractères qui nuance le constat. A chacun de juger, je suppose.


Un grand film. Superbe à voir et superbe à vivre.


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Pendant que je regardais tranquilou cette petite merveille du cinéma japonais, 84+ personnes se faisaient massacrer à coup de camion fou...Les fous furieux d'aujourd'hui semblent trouver de plus en plus aisément en eux le grand courage de tuer des innocents, des femmes et des enfants. Monde de merde ...

nostromo
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le 15 juil. 2016

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