Tout d’abord, le film est classé ici (et ailleurs) comme un “documentaire” mais, honnêtement, je ne vois pas de différence fondamentale avec les trois films précédents de Malick. Voyage of time est une de ces oeuvres particulières que l’on appelle “un film de Terrence Malick”, et ça se reconnaît immédiatement. Seulement, ici, Malick pousse le plus loin possible son système narratif de l’époque (qui se caractérise justement par une quasi-absence de narration, ou du moins une narration tellement explosée qu’elle paraît inexistante et donne, à tort, l’impression d’un film décousu), avec un travail sur le montage comme créateur de sens et une grande importance accordée à la bande-son. Les thèmes principaux du cinéaste sont là aussi.
Concrètement, le rapprochement avec la partie cosmogonique de Tree of life est facile et évident. Voyage of time se déploie comme une prière. Une femme s’adresse à “Mère”, la questionne, la supplie, lui montre son amour, et surtout la recherche.
Cette appellation de “Mère” est très parlante en soi : ce qui caractérise une mère, c’est son amour. Et, depuis au moins Le Nouveau Monde, on sait que, selon Malick, cet amour est une composante essentielle de notre vie, mais aussi de l’ensemble de l’univers. Mieux : l’amour définit (ou devrait définir) notre relation au monde :
“Love binds us together”.
Cet amour transparaît dans l’ensemble de la création. L’univers, la Terre, les humains, tout est la preuve de cet amour maternel. Le système contemplatif de Terrence Malick atteint ici son apogée : dans le gigantesque ou dans le minuscule (les deux infinis, en quelque sorte), tout est d’une telle beauté que cela invite à la contemplation, à la méditation. La beauté élève spirituellement celui qui la contemple.
C’est d’abord la beauté de la lumière, qui rend tout le reste possible. Cette lumière, qui inonde généralement les films de Malick, on la voit ici, dès le début, tenter de percer à travers les ténèbres. Cette lumière, faible d’abord, vacillante, parcourra tout le film. C’est elle qui rend possibles les couleurs et les ombres. Elle dessinera des formes sur les parois rocheuses ou se reflétera sur l’eau. La lumière est créatrice de vie.
Voyage of time se fait alors hymne à la beauté de la création. Un plan sur un volcan, un autre sur une planète, un troisième sur un oeil : passant d’une dimension à l’autre, Malick englobe l’ensemble de l’univers pour le célébrer. Et, ce faisant, il fait de l’univers une véritable oeuvre d’art : sculpture (des falaises), peintures, chorégraphie (le ballet des poissons autour de la baleine), architecture des paysages… La beauté est un miracle, et la plus belle oeuvre d’art, nous dit Malick, c’est le monde.


Mais Malick ne se contente pas de montrer la beauté de la nature. Il en montre aussi la violence. Les météorites qui s’écrasent. Les volcans en éruption. La puissance tellurique en action. Des forces titanesques, mais aussi de la violence plus quotidienne, des animaux qui en dévorent d’autres par exemple.
L’idée qui se dégage ici (et qu’il m’avait semblé trouver ailleurs chez Malick, dans La Ligne Rouge ou Les Moissons du ciel, par exemple), c’est celle d’une nature tellement supérieure à l’humain qu’il en est écrasé. Pire : elle semble même être totalement indifférente à lui, “trop immense pour voir”, dira la narratrice en prière.
Car, bien entendu, c’est la place de l’homme qui est aussi questionnée ici. Si l’on cherche à savoir qui est cette Mère et où Elle se trouve (la question “Où es-tu ?” doit être celle qui est posée le plus souvent dans le film), c’est que l’on sent avoir d’elle. Comme une envie de se rassurer :
“Je te crains, toi que je devrais aimer”.
Car le film ne se contente pas d’enchaîner les images du cosmos ou des cellules du corps. L’humain est présent aussi, non pas seulement comme un corps perçu comme un miracle de la création, mais bel et bien en tant qu’être social. Une humanité éclatée en une infinité de cultures, de traditions, de rites… Une humanité souffrante, errante, parfois désespérée (les premiers humains qu’il filme, ce sont des “homeless” dans une quelconque ville américaine). En bref, une humanité coupée de la nature. Une humanité qui, comme les personnages plus identifiables peuplant les films de Malick, cherche quelque chose de supérieur mais avec maladresse, en tâtonnant.


Dans son parcours contemplatif, Malick se contrefout royalement de raconter quelque chose. Certaines des images ici sont franchement difficiles à reconnaître, et le montage fait alterner le plans sans forcément de lien logique évident. L’idéal, face à un tel film, est finalement de débrancher l’intellect pour se laisser porter par les images, les sons, les émotions qui se dégagent. Comme la contemplation de la nature permet de s’élever spirituellement, Malick voudrait que ses films, si l’on n’y est pas réfractaires (je sais de quoi je parle, moi que l’ai longtemps été), nous tirent vers les hauteurs.

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le 12 août 2020

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SanFelice

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