Les super-héros nous envahissent. Il n’y a qu’à regarder le calendrier des sorties et les programmes télévisés pour s’en convaincre, entre Captain America 2, The Amazing Spiderman 2, X-Men Days of Future Past et Les Gardiens de la Galaxie au cinéma et Agents of SHIELD et Arrow à la TV, 2014 est d’ores et déjà une année marquante pour ce pan de la culture populaire. Le succès record d’Iron Man 3 a convaincu les studios que le filon était peut-être le bon, c’est ainsi que les années à venir seront marquées par une saturation du genre, d’autant plus que DC Comics va imiter Marvel en créant sa série de films interconnectés pour arriver vers la Justice League, à l’instar des Avengers. Et j’ai beau aimer ces univers, je dois dire que je commence déjà à en avoir marre : pas un jour ne se passe sans une annonce liée à la production d’un film de super-héros, les débats font rage sur le net (Ben Affleck et son rôle dans le prochain Superman vs Batman), les bandes annonces s’enchainent à n’en plus finir (The Amazing Spiderman 2…), bref, j’en ai assez de les voir partout. Mais la critique d’aujourd’hui va porter sur le plus « anti-super-héros » de tous les films de super-héros, un film dont le nom fait déjà frémir tous ceux ayant eu la chance de lire le comics original, je parle de Watchmen de Zack Snyder.


Watchmen est à l’origine un comics d’Alan Moore et de Dave Gibbons édité chez DC Comics et publié entre 1986 et 1987 (et accessoirement le seul comics qui m’ait été donné de lire), le postulat de départ est d’ancrer des super-héros dans un univers réaliste et assez proche du notre. Pourquoi assez ? Parce qu’il s’agit d’une uchronie, à savoir un univers semblable au notre dont la chronologie diffère à partir d’un point précis de l’Histoire (au hasard, l’Allemagne remporte la seconde Guerre Mondiale et ainsi le monde est régit par les nazis – HOP point Godwin !). Ici le point de divergence se situe à la fin des années 30 lorsque des individus lambdas décident de devenir des justiciers après avoir lu les premiers comics de super-héros. Ils vont s’ancrer durablement dans la culture populaire américaine (parce que l’action se déroule à New York) et en même temps causer la chute des comics de super-héros, remplacer alors par des histoires de pirates. Néanmoins l’élément le plus important dans cet univers est l’apparition du Docteur Manhattan, un demi-dieu résultant d’un accident impliquant un scientifique, Jon Osterman et une machine le désintégrant. Il est alors capable de « restructurer son champ intrinsèque », disons simplement qu’il peut se téléporter, voir dans l’avenir et dans le passé, désintégrer ce qu’il veut et se multiplier à l’infini. Dans un contexte de Guerre Froide, il constitue un avantage définitif en faveur des Etats Unis, ce qui n’empêche pas les Soviétiques à poursuivre la course à l’armement en croyant dur comme fer à l’équilibre de la Terreur. Les américains vont ainsi sortir vainqueurs de la guerre du Vietnam, Nixon va être réélu 4 fois de suite et entre temps, les super-héros sont devenus illégaux en 1977, les poussant soit à la retraite soit à travailler avec le gouvernement. Après ce long état de lieux, il est temps d’en venir à l’intrigue principale : 1985, le film s’ouvre sur l’assassinat d’Eddy Blake, aussi connu sous le nom du « Comédien », un ancien super-héros travaillant alors pour le gouvernement. Rorschach, un ancien collègue ayant refusé de prendre sa retraite en 1977, décide de mener l’enquête en partant du principe que quelqu’un veut tuer les anciens justiciers. Il part à la rencontre de ses anciens camarades, Dan Dreidberg, « le Hiboux », Adrian Veidt, « Ozymandias », Laurie Jupiter « le Spectre Soyeux », et le docteur Manhattan, afin de les prévenir que leur avenir est menacé. A la suite de quoi il semble de plus en plus évident que ces meurtres sont liés à un complot visant à causer l’apocalyspe nucléaire…


Il y a BEAUCOUP, BEAUCOUP de choses à dire sur Watchmen et il va être difficile de parler de tout. Le film fait encore débat mais je fais partie de ceux qui ont été largement conquis à son visionnage, et pour être encore plus précis de ceux qui ont été largement conquis sans avoir lu l’œuvre originale auparavant. Zack Snyder s’est ainsi glissé derrière la caméra avec pour objectif de convaincre aussi bien les fans du comics que les néophytes. A l’heure où j’écris ces lignes, cela fait moins de 24h que j’ai pu terminer le comics et revoir le film dans la foulée, et le constat est sans appel : Snyder a respecté l’œuvre originale. L’intrigue est suivie très fidèlement quoique il a du réécrire la fin afin de supprimer certaines sous-intrigues, le film dure quand même 2h40, mais la conclusion reste la même, j’aurai même tendance à penser que la fin du film est meilleur que celle du comics. Bref passons. On est aussi très proche de l’identité visuelle du comics, Snyder est connu pour son usage des fonds verts (300) et il a su retranscrire l’ambiance du roman graphique tout en saturant les couleurs, rendant le film à la fois très lumineux et sombre. Le casting fut un pari gagnant, les acteurs étaient en partie des inconnus (Patrick Wilson, Matthew Good et Malin Akerman ont réussi à percer par la suite), je tiens surtout à mettre en valeur la prestation de Jackie Earle Haley dans le rôle de Rorschach, qui a dû jouer presque l’intégralité du film un masque sur le visage et qui a su retranscrire le charisme de ce personnage très apprécié du côté des fans de comics. La réalisation est impeccable et très rythmée, il n’y a que peu de temps morts. Malgré le flot d’information assez important à assimiler, le tout n’est jamais indigeste, les évènements se déroulant en parallèle de l’histoire principale sont racontés par l’intermédiaire de journaux placés dans le champ un peu comme c’est déjà le cas dans le comics, ces informations concernent essentiellement les tensions grandissantes entre les soviétiques et les américains. Autre gros point fort du film, l’usage des musiques : Watchmen n’est pas sans rappeler les films de Tarantino dans l’usage qu’il fait des musiques, elles sont toutes issues de la culture pop (Muse, Bob Dylan, Simon and Garfunkel, etc…) et permettent de rendre certaines scènes mémorables. Je pense notamment au flashback concernant l’apparition du docteur Manhattan rythmé par Pruit Igoe and Prophecies du Philipp Glass Ensemble, clairement mon moment préféré du film, autant par la mise en scène que par la structure narrative qui renvoi au fait que le Docteur voit le passé, le présent et le futur de façon simultané. Enfin le film est sans concession, il est violent que ce soit visuellement ou dans ses thématiques, ce dont on ne va pas se plaindre face à l’aspect aseptisé des dernières productions super-héroiques.


Mais l’énorme point fort du film et du comics, c’est ce qu’ils ont à nous dire. Le propos est d’ailleurs exactement le même dans les deux médias, on remerciera Zack Snyder de ne pas avoir voulu l’actualiser, c’est comme si le film avait été tourné en 1987 mais avec les technologies actuelles. Premièrement, il y a la Guerre Froide en toile de fond. N’oublions qu’à cette époque, la peur d’une apocalypse nucléaire était encore très prégnante et le film retranscrit cette ambiance avec brio même si le comics est plus efficace de ce point de vue-là. Il y a une sorte d’obsession dans cette œuvre pour la fin, sous toutes ses formes. La probabilité d’une guerre nucléaire est ici représentée par « l’Horloge de l’Apocalypse », à savoir une horloge qui si elle indique minuit, représente la fin du monde. Le film s’ouvre sur cette horloge indiquant 23h55. De même, le smiley, symbole du film et du Comédien, a une tache de sang rappelant l’aiguille d’une horloge. L’histoire est aussi sans cesse jalonnée par des flashbacks qui se veulent nostalgiques d’une époque où les super-héros étaient encore populaires. Les personnages sont tous habités par un doute existentiel et la mort semble les rendre assez indifférents. Sinon, c’est un fait, le film brille par ses personnages, des archétypes de super-héros ayant mal tournés. Rorschach est devenu un sociopathe après avoir trop fréquenté les bas-fonds de l’humanité ce qui lui a fait perdre toute foi en l’humanité, il est devenu un monstre à force d’en avoir fréquenté. Le Docteur Manhattan est une parodie de Superman, sa position de surhomme parmi les hommes fait qu’il se désintéresse totalement de ces derniers malgré le fait qu’il ait encore ses émotions, en faisant un personnage instable qui peut potentiellement détruire la planète. Le Comédien est semblable à Rorschach, il a perdu foi en l’humanité mais il a décidé de tout prendre pour une blague, il est ainsi extrêmement cynique et il est clairement l’ancien super-héros le plus dangereux de la bande. Plus globalement, ces justiciers ont des idéologies d’extrême droite, désireux de protéger leurs modes de vie et la morale qu’ils jugent être la bonne. Le thème du justicier se plaçant au-dessus de la loi est ainsi d’autant plus pertinent qu’il est traité dans un cadre cohérent, par là j’entends dans une société où les individus vont en effet se lever contre ces justiciers.


Bien entendu, tout n’est pas parfait. Le premier élément qui me marque, c’est la façon avec laquelle Snyder a filmé ses combats, ils sont heureusement peu nombreux (je vous ai bien dit que c’est film de super-héros très atypique) mais à chaque fois, les ralentis sont utilisés jusqu’à l’excès, ce qui rend l’action très peu trépidante à défaut d’être stylisée. On remarque les mêmes défauts dans 300 et dans Sucker Punch du même réalisateur, tous deux loin d’être des chefs d’œuvre, il faut croire que Snyder a cru bon d’imiter Michael Bay, ce qui est pourtant la pire chose à faire. Le film souffre aussi de la condensation des 300 pages du comics en un film de 2h40, les dialogues en pâtissent et certains donnent vraiment l’impression de n’être là que pour exposer la situation. Et sinon, je crois que c’est à peu près tout, j’adore vraiment ce film, difficile de voir autre chose à redire.


En ces temps où les super-héros monopolisent le paysage de la pop culture, réjouissez-vous car l’ultime film anti-super-héros existe. Watchmen vaut surtout pour son traitement des justiciers où il tend vraiment à les décrire comme des sociopathes ou des fachos, à cela s’ajoute l’ambiance de la guerre froide qui sied particulièrement bien à cet univers. Il est aussi remarquable techniquement parlant et fait honneur au comics d’origine. Je me dois de finir par une promotion de ce même comics, comprenez que le film perd 1/3 du propos de l’œuvre d’origine, l’évolution du comics américain en particulier. Je ne suis pas un expert en la matière mais il a reçu de nombreux prix et est souvent cité comme étant le meilleur comics/roman graphique jamais crée. Je l’ai trouvé pour une dizaine d’euro sur Amazon en VO, ça serait bête que vous vous en priviez.

remimazenod
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le 16 janv. 2017

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Rémi Mazenod

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