Zackmen, les Spartiates ?
Comment ne pas trembler de peur à l'évocation d'une adaptation de Watchmen, un monument de la bd américaine ? C'est que le challenge est de taille, ne pas trahir le ton de l'oeuvre d'origine est un exercice extrêmement périlleux, qui demande de recréer une atmosphère bien particulière, le tout en respectant une trame complexe et torturée. Et si l'on vous dit que Zack Snyder est aux commandes ? Beaucoup grincent des dents, et je dois avouer que moi au contraire je trépigne d'impatience à l'idée de voir un tel film. C'est que le Zack, qu'on aime ou qu'on aime pas, il est très difficile de rester indifférent à son boulot.
Est-il besoin de présenter Watchmen ? Dans un univers pratiquement identique au nôtre, les héros costumés existent bel et bien, nés peu après leurs collègues de papier. La première génération, celle des Minutemen, inspire les Watchmen, une nouvelle équipe disparate de héros, ayant tous une vision du monde et des objectifs très différents. Rorschach est un psychopathe qui n'éprouve aucune pitié pour les criminels, le Hibou hérite du titre du premier Hibou des Minutemen et utilise sa fortune afin de se créer un équipement de pointe, le Spectre soyeux hérite du titre de sa mère, le docteur Manhattan est le seul véritable super-héros, créé par le hasard d'un accident dans un centre de recherche, qui a perdu au passage une grande partie de son humanité, Ozymandias se considère comme le plus grand esprit du monde et le Comédien est un vétéran cynique et cruel des Minutemen qui est devenu un mercenaire chargé d'accomplir les sales besognes du gouvernement. Leur association n'a existé pratiquement que sur le papier, et après une loi qui rend leur activité hors-la-loi, tous choisissent une voie différente. Mais lorsque le Comédien est assassiné à son domicile, dans un contexte de quasi guerre nucléaire, les héros à la retraite s'interrogent. Pourrait-il s'agir d'un tueur de masques ?
Voilà dans les (très) grandes lignes la trame de Watchmen. Univers dense, riche et complexe, l'adapter relève du défi. Quelle voie a choisi Zack Snyder ? Celle du fan absolu. À quelques points près, le bonhomme s'est attaché à reproduire l'ensemble de la bd avec le plus de précision possible, jusqu'au choix des figurants, jusqu'au moindre plan ou presque, jusqu'au plus petit détail de maquillage ou d'habillage. L'effet est saisissant. On aurait pratiquement l'impression que les personnages sont sortis du papier pour devenir réel, il suffit de voir Rorschach, le Comédien ou les Hiboux par exemple pour s'en persuader. Les premières minutes sont d'ailleurs fabuleuses, entre une reconstitution parfaite des premières planches de la bd, diverses trouvailles visuelles et esthétiques et un flashback accéléré de l'histoire des Minutemen léché au plus haut point, les fans vomissent des arc-en-ciel devant le travail de Zack Snyder. Et ça continue ! Et ça continue ! Et ça continue. Et ça continue...
Car oui, ce film a un gros problème : il est très long. Long, et lent, un peu au fond comme si vous tâchiez de lire l'ensemble de la série Watchmen d'une traite. Car Snyder est tellement fidèle à son matériau d'origine que vous risquez bel et bien l'overdose.
Maintenant, je dis ça, mais moi j'ai adoré. Plus qu'adapter, Snyder est parvenu à sublimer certaines scènes, grâce à la magie du cinéma. C'est que Watchmen dispose d'une esthétique fabuleuse, mais la voir sur grand écran c'est autre chose. Surtout qu'il aurait pu se contenter de simplement reconstituer, mais il apporte un supplément d'âme et multiplie les bonnes idées visuelles et esthétiques.
L'on peut aussi être un peu dubitatif devant les scènes d'action. Elles sont pas mauvaises, mais vont clairement dans l'exagération. Si cela est cohérent avec la bd dans une certaine mesure, il s'agit aussi d'un tic du Zack, adepte de l'oversurenchère de la mort qui tue. Ca passe la plupart du temps, mais à certains moments c'est tellement kitsch qu'on perd l'immersion. Aurait-il dû laisser son style au placard, ou aller jusqu'au bout de son délire ? Question difficile. De la même manière, le souci de l'esthétique de Snyder casse la violence de certaines scènes, qui choquent moins qu'elles ne le devraient tellement c'est joliment fait. Est-ce vraiment souhaitable dans Watchmen, ou est-ce au contraire nuisible à l'oeuvre ? Difficile à dire. Déjà dans la bd, l'on est parfois mal à l'aise, à se demander ce qu'on vient de nous faire, là.
Bon, je vais pas mentir, moi j'ai accroché de bout en bout, et si ces éléments m'ont un peu interpelé, je les ai pris comme des choix de direction certes étonnants, mais défendables.
Watchmen est donc à mes yeux un très bon film, les premières minutes en particulier étant fabuleuses, et l'ensemble un vrai régal pour les fans. Un cas très particulier d'adaptation qui entre difficilement dans les cases "réussie" ou "ratée", tellement le film s'assume comme ovni. Assurez-vous seulement de ne pas être trop fatigué quand vous le visionnerez, parce que c'est long.