Roman graphique (ou "Graphic Novel") rédigé par les célèbre auteur américain Alan Moore ("From Hell", "The League of Extraordinary Gentlemen")et Dave Gibbons et parue en 1986, "Watchmen" a fait office de véritable séisme dans le monde des "comics" américains, et plus précisément celui des super-héros. Edité par "DC Comics", situé dans un univers alternatif à celui de Batman, Superman et Wonder Woman, "Watchmen" propose un monde très sombre, plus réaliste et surtout terriblement pessimiste dans lequel l'Apocalypse n'est plus très loin (littéralement symbolisé, tant dans la B.D que dans le film, par une grosse horloge qui décompte les minutes restant avant le jugement dernier), du fait que les Américains et les Russes sont à deux doigts de la guerre nucléaire.
En avant-plan de tout ça, des super-héros qui n'ont de "super" que leurs surnoms. En effet, les "Watchmen" sont, pour la plupart, dépressifs, schizophrènes, violeurs, obsédés sexuel(les), voir même franchement psychopathes pour certains. A l'exception notable du "Docteur Manhattan", qu'une explosion de particules a transformé en sur-homme bleu et radioactif capable de rivaliser, voir même de terrasser Superman lui-même, aucun n'a de super-pouvoirs. Quant à leur envie de jouer les super-héros, c'est surtout pour faire éclater leurs violences et pulsions refoulés sur les criminels et personnes de tous genres : vietnamiens, femmes, enfants, hippies, etc.
Acclamé par la critique, récompensé à plusieurs reprises (dont le prestigieux "Hugo Award" , décerné pour la première fois à un comics), "Watchmen" a instantanément acquis le statut d'oeuvre culte auprès d'une solide communauté de fans. Il va sans dire qu'Hollywood, dont le faible pour les adaptations littéraires n'est plus à prouver, ne devait pas passer à côté. Et pourtant, il aura fallut attendre des années, deux décennies même, pour que le célèbre comics passe enfin sur grand écran. Pourquoi ? Tout simplement parce que des réalisateurs de talents tels que Terry Gilliam, Paul Greengrass, ou même des plus jeunes comme Darren Aronofsky et M. Night Shyamalan s'y sont cassés les dents et n'ont jamais réussit à savoir comment la transposer à l'écran.
Et puis, voilà qu'un jour, un jeune réalisateur en devenir du nom de Zack Snyder, tout auréolé du succès commercial de son précédent film, "300" (autre adaptation littéraire d'un "Graphic Novel") , accepte de s'attaquer à l'adaptation cinématographique "casse-gueule" de "Watchmen". D'emblée, ce dernier, malgré la pression des studios "Warner", impose ses exigences : il ne veut pas de "stars" pour les rôles principaux mais plutôt des acteurs assez peu connu du grand public, histoire de permettre une meilleure identification avec les personnages. De même, il souhaite que son film soit une adaptation fidèle du comics et non pas un film introductif destiné à lancer une vaste franchise déclinée en suite, prequels et autres spin-off.


Il est maintenant temps d'en venir au film en lui-même, sortit en 2009, que certains considèrent comme étant (à l'instar du comics dont il est l'adaptation) "le meilleur film de super-héros jamais réalisé" avec "The Dark Knight" de Christopher Nolan et "Batman Returns" de Tim Burton.
Dans l'ensemble, oui; "Watchmen" est clairement un bon film non pas DE super-héros mais plutôt SUR les super-héros (on y reviendra après). Et force est de reconnaître que plus les années passent et plus les films estampillés "Marvel et "DC" se multiplient à n'en plus finir, plus on constate que "Watchmen" est clairement une oeuvre majeure et à part, clairement en avance sur son temps (trop, peut-être). En effet, son ton très mature (focalisé sur la psychologie tourmenté de ses super-héros plutôt que sur les scènes d'action) et adulte (représenté par une violence gore très esthétisé et un érotisme chic) suffisent à le situer très au-dessus de la production super-héroïque actuelle. De fait, à l'humour potache et "école primaire" du MCU, Zack Snyder lui substitue un rire à froid (représenté par la blague de Rorshah à propos du grand clown Paillasse); au choc des batailles sur fond de buildings et maisons explosées, le réalisateur préfère s'attarder sur les actes les moins acceptables de ses héros; le fait qu'ils tuent le plus souvent par cynisme (Le Comédien) ou par haine ou reproche (Rorshah). Que Snyder ait souhaité rendre plus gore les scènes (ou devrait-on dire les "cases") du comics semblent provenir du fait qu'il souhaitait rendre son film le plus sérieux et adulte possible, de manière à ce que, d'emblée, le spectateur le moins féru de comics comprenne assez vite qu'il n'aura pas à faire à un film distrayant pour jeunes ados. Si elle peut parfois rebuter par ses excès de sang et de brutalité (voir la scène d'ouverture entre le "Comédien" et son agresseur), cette violence n'est pourtant jamais gratuite dans la mesure où non seulement elle sert bien le récit et son propos désespéré de fin du monde mais, en plus, elle correspond bien à ce qu'on appelle aujourd'hui le "style Snyder", à savoir une esthétique à la fois sombre et très léché, qui rend sa photographie visuellement très belle et poétique.


Si "Watchmen" brille par son esthétique stupéfiante, il serait injuste de négliger son propos qui, pour la majorité des fans, suffisent à en faire l'une des plus grandes oeuvres de super-héros.
Comme dit plus haut, le film se veut plus un portrait psychologique doux-amer sur des individus torturés et déchirés par leurs destins qu'un récit d'aventure dans lequel une équipe de choc sauve le monde. Sur ce point-là, Snyder reste très fidèle au propos de Frank Miller qui, dans son roman graphique, se focalisait exclusivement sur ses personnages au point de faire passer le conflit principal (l'imminence de la guerre nucléaire entre l'Amérique et la Russie); ce qui donne lieu à une multitude de scènes intimistes qui peuvent se voir comme des "petits films dans le film", à l'instar des flash-back racontant la naissance du "Docteur Manhattan", les excès du Comédien ou encore les errances sur fond de monologues cyniques et désenchantés de Rorshah. A l'instar de la B.D, le film est construit sous forme de montage alterné, passant sans broncher d'un personnage à un autre, d'un questionnement moral à l'autre. En procédant de cette manière, c'est plus un film d'auteur qu'un film d'action que Snyder nous propose et ce, pour notre plus grand plaisir, dans la mesure où, à l'heure actuelle, "Watchmen", avec "The Dark Knight" de Nolan et plus récemment "Logan" de Mangold, demeure l'un des films dans lesquels on s'identifie sans problèmes à ces "super"-héros, voulant avant tout se sauver eux-même, leur âme emplie de noirceur et de chagrins plutôt que leur propre monde.
A cet égard, la fin, que Snyder a d'ailleurs légèrement modifié, peut se voir comme un pied-de-nez à celles, plus classiques et conventionnelles, du MCU (bien qu'"Ininity War" ait marqué une légère évolution dans ce domaine). Sans la dévoiler, celle-ci se révèle, bien que moralement dérangeante, d'une logique implacable, la farce ultime étant qu'il (de l'aveu même du Comédien) faille détruire pour mieux reconstruire, une façon de faire qui n'est pas sans rappeler une certaine politique américaine contemporaine, en tout cas celles de Donald Trump ou de Georges W. Bush.
Bien plus que la transposition fidèle du propos d'Alan Moore, c'est un regard tristement cynique que Snyder jette à la face de son propre pays, à l'époque (fin des années 2000) encore fort touché par la guerre en Irak et les attentats du 11 septembre 2001. En l'auréolant d'un propos politique plus nuancé qu'il n'y paraît, Snyder fait de son film une véritable métaphore de ce qu'il pourrait advenir si, sur fond de peur et de paranoïa, les deux plus grandes puissances mondiales en venaient à vouloir tout bonnement se détruire mutuellement. Si Nolan, avec "The dark knight", allait déjà dans ce sens en dressant le portrait d'une ville au bord du chaos, Snyder enfonce le clou en disant que le seul espoir, c'est le sauvetage du monde par le mensonge, soit une farce bien noire dénuée du moindre scrupule. Véritable parabole réflexive d'une société en pleine décrépitude et perte de repères (moraux comme psychologiques), "Watchmen" fait donc réfléchir et le fait bien, plus que bien même.


Au niveau de l'interprétation, rien à redire tant chaque acteur semble être littéralement habité par son personnage; mention spéciales, toutefois, à Jackie Earle Haley dans le rôle de Rorschah et à Jeffrey Dean Morgan dans celui du Comédien. Personnage torturé s'il en est, Rorschah, de par son look mystérieux (un masque blanc à l'effigie du test de... Rorschah) est sans conteste le "watchman" le plus charismatique de tous. Abîmé de l'intérieur, oscillant sans cesse entre le bon sens et la paranoïa, capable du calme le plus froid comme de la violence la plus sèche, ce dernier est peut-être le personnage plus attachant et le plus identifiable, impression due au fait que sa voix-off reflète rien moins que toutes ses peurs refoulées. De même, le jeu à la fois intériorisé et la voix caverneuse de son interprète, Jackie Earle Haley, lui confère d'avantage d'aura.
Dans la peau de l'instable "Comédien", Jeffrey Dean Morgan parvient à rendre touchant et humain un individu a priori détestable (violeur, tueur de femmes et d'enfants) en optant pour un jeu assez stable, se faisant plus sobre dans les moments intimistes et plus extraverti dans les séquences plus sauvages.


En somme, presque 10 ans après sa sortie en salles, "Watchmen" reste encore et toujours un très bel OFNI dans le monde de plus en plus aseptisé des super-héros, n'ayant pas connu le même succès commercial que ses confrères mais ré-estimé depuis par des aficionados qui en ont fait, à l'instar du comics de Moore et Gibbons, LE chef d'oeuvre du film de super-héros.
Sans aller jusque là, (des films comme "The Dark Knight" et "Batman Returns" méritant plus ce "titre"), "Watchmen" n'en demeure pas moins un très grand film, à l'esthétique sublime, au propos philosophico-politique encore très d'actualité de nos jours et à la noirceur abyssale rarement égalé.


A (re)découvrir et à ré-évaluer si ce n'est pas encore fait !

f_bruwier_hotmail_be
8

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le 11 sept. 2018

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