On peut rire de tout, disait Desproges. Et on en a bien besoin en ce moment. La comédie de Chris Morris, Four Lions, sortie il y a presque six ans, refait aujourd’hui surface grâce à son propos d’une actualité plus que jamais pertinente : on y suit un groupe de terroristes islamistes – plus idiots les uns que les autres – tentant de monter un attentat d’envergure dans leur Royaume-Uni natal. The Office chez les moudjahidines, c’est forcément un concept qui pique la curiosité.
Tout, dans Four Lions, est prétexte à la farce. Tout ? Pas exactement. Chris Morris sait se montrer sérieux quand il faut – et ce n’est ni pour s’apitoyer sur les victimes, ni pour souligner que les héros de son film sont, bien évidemment, des monstres. Four Lions suit des crétins, et c’est là l’intelligence de son exécution : ces aspirants meurtriers sont naïfs, manipulables, inconscients et incompétents. Ce sont des bouffons et c’est là la grande tragédie de leur existence – facile de les ériger en soldats et de les convaincre de se faire exploser dans une foule quand on connaît leur misère sociale et intellectuelle.
Mais ce serait bien dénaturer Four Lions que de limiter son analyse à ses penchants tragicomiques. Avant tout, il s’agit bien d’une comédie hilarante, inventive et courageuse, qui œuvre dans l’humour stupide, où tous les personnages sont des idiots finis. On pense aux Monty Python, mais la forme rappelle davantage les plus grands mockumentaires des trente dernières années (Spinal Tap, The Office et Arrested Development, pour ne citer qu’eux). Les gags sont parfois faciles, mais c’est surtout grâce à ses associations farfelues que Four Lions fonctionne – on pourrait presque voir une forme de poésie dans la vision de quatre djihadistes faisant un karaoké de Dancing in the Moonlight.
Avec son Dictateur, Chaplin faisait du Mal absolu une justification pour un cirque humaniste. Sans aller jusqu’à mettre Four Lions au même niveau que le classique de 1940, on peut voir des similitudes entre ces deux œuvres : le film de Morris n’est pas une satire politique mais une comédie potache sur fond de drame humain. On ne tente pas ici de faire bouger les choses ou de changer l’esprit de la ruche, mais simplement de rire sans arrière-pensées de la bêtise et des contradictions du discours, des actions et des sympathisants de la cause du terrorisme radical-islamiste. Jusqu’à ce que le film nous rappelle, dans un ultime acte, qu’entre les cadavres d’innocents, les victimes qu’on oublie souvent ce sont ces simplets émotionnellement fragiles qu’on aura déterminé à commettre l’impensable.
On retire le masque et on voit l’homme. Il n’a pas inventé l’eau chaude et on ne sait d’ailleurs pas exactement comment il a pu en arriver là. Four Lions peut faire polémiquer, mais ce serait passer à côté des ambitions : il ne s’agit pas de créer une forme de sympathie pour ces terroristes, mais simplement de les observer avec second degré. Des cons qui n’ont pas conscience de leurs actes et de leur cause, tourmentés entre leur innocence révolue et la propagande qui a fait d’eux des combattants improvisés. C’est très drôle et parfois stupide, mais c’est surtout profondément malin.