La formation d'un monstre, en dépit et contre les autres.

Le film de Lynne Ramsay est rouge. Le rouge du sang, le rouge de la peinture jetée sur la façade de la bicoque délabrée d'Éva en rédemption. Le rouge de la colère, de la passion féroce, du conflit entre la mère et le fils, mais aussi la couleur de la fête, de l'exotisme, correspondant aux voyages qu'Éva appréciait tant. Cette couleur apparaissant le long de l'œuvre représente donc Éva, la suit partout, la caractérise. Éva, sous cette lumière rouge, n'a aucun répit. Éva subit, Éva supporte.

Comment cette femme a-t-elle pu élever un enfant meurtrier ? Est-elle la fautive du comportement de son fils ? Aurait-elle du le voir, y faire quelque chose ? Comment peut-elle vivre avec ce fardeau ? Malgré tout, malgré tout ce qu'il a fait, reste-il son fils ? Voilà la pléthore de questions qui nous viennent en tête, au cours du visionnage du film. Devant ce drame qu'est la destruction de la vie d'Éva, nous assistons impuissants, tout juste tentons-nous de comprendre.

D'autre part, les malheurs d'Éva Katchadourian sont retranscrits à l'écran avec une force que le livre ne permettait pas. Une fois mis en images, ses déboires apparaissent plus réels, et non plus laissés à notre imagination mais matérialisés, ils saisissent plus encore. Les scénaristes ont d'ailleurs édulcoré certaines scènes, sûrement de peur de trop choquer le public. On ne traite pas d'un sujet aussi brûlant que celui des serial-killers mineurs, en parallèle des tueurs de Columbine, sans un certaine diplomatie. Toucher le spectateur, l'amener à s'interroger, à tenter de comprendre, oui. Le scandaliser et faire revivre des scènes douloureuses de l'histoire américaines en insistant sur l'horreur, pas question.

Ainsi le film joue sur la psychologie des personnages. Insiste sur la psychologie de la mère et du fils. Mais les deux heures du film, d'autant plus monté en flash-backs, ne permet pas une nette compréhension de cette relation filiale. Pire, certains pans de l'histoire sont survolés, et les personnages du père et de la petite fille sont quasiment inexistants, réduits ainsi à des stéréotypes, là où le roman leur accordait une place plus importante et étoffait leur rôle dans le drame. La culpabilité de Kevin dans l'accident lié à sa petite sœur n'est presque pas abordée ; l'épisode de la garde-à-vue de Kevin l'est à peine 30secondes. Le personnage du meilleur ami débile du protagoniste, disparu lui aussi. Le film est alors réduit à une confrontation mère-fils, et ceci pâtit sérieusement à sa subtilité.

Ainsi, l'adaptation de ce terrible roman qu'est "We need to talk about Kevin" apporte ce même sentiment de dégoût et d'incompréhension que l'œuvre originale, mais n'apporte qu'un dixième de ce que le livre fait passer au lecteur. Malheureusement, je crois qu'il serait trop hermétique, trop incompréhensible à un spectateur qui ne connaît pas l'histoire dans son ensemble. Je recommande donc une lecture du roman avant un visionnage du film. Le film ne peut être apprécié que comme un complément du roman ; il ne se suffit pas à lui-même. Sa seule qualité est de mettre en forme l'horreur; pour comprendre, il vous faudra lire. Vous ne le regretteriez pas.
Pukhet
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le 11 févr. 2012

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