A la question "quel film avec Tilda Swinton n'ai-je pas encore vu ?", We Need To Talk About Kevin était un de ceux dont on m'avait le plus parlé. En ce pluvieux vendredi soir, je m'attaque donc à ce film de Lynne Ramsay qui a fait partie de la sélection à Cannes 2011.


Kevin a toujours été difficile avec sa mère. Bien qu'elle l'ait eu par accident, elle l'a toujours aimé, mais Kevin a parlé tardivement, refusait d'aller sur le pot, était insolent, insultant avec elle. Même en grandissant, il est resté manipulateur, infect voire dangereux. Tout a changé après ce fameux jour où, à peine âgé de seize ans, il commet l'irréparable. Qu'aurait pu faire Eva pour empêcher cela ? Quelle est sa part de responsabilité ?


Tout le film repose sur cette question : à quel point Eva est-elle responsable de ces événements qui ont plongé toute la ville et encore plus sa famille dans l'horreur ?
Pour répondre à cela, le film propose une progression non linéaire, multipliant les flashbacks. Heureusement, les environnements, la coiffure de Tilda Swinton et l'âge du gamin permettent de s'y retrouver. Nous ne sommes jamais perdus dans les méandres des souvenirs de cette mère rongée par la culpabilité. Très bon travail de maquillage également pour la version "actuelle" de Tilda qui a vraiment l'air bien moins en forme, fatiguée et déprimée, par rapport à "l'avant" événement.
On ajoutera à ça, bien évidemment, son jeu d'acteur excellent - un de ses meilleurs selon moi. D'une justesse incroyable, elle fait absolument un sans faute.


Ezra Miller est également excellent, parfait manipulateur, il réussit à jouer l'ado qui joue la comédie dans une mise en abyme savamment maitrisée.


Le traitement de la culpabilité passe par un très bon travail sur les couleurs et l'omniprésence du rouge. Eva passe plusieurs scènes à nettoyer sa maison aspergée de peinture, avec donc bien sûr de la mélasse pourpre plein les mains. Les vêtements, les reflets, le vernis à ongles... Eva se sent constamment entachée et prend tout sur elle. Ainsi il faudra guetter l'évolution des couleurs à l'écran afin de comprendre le dénouement de son cheminement mental sur sa propre responsabilité.
La responsabilité n'est pas seulement celle qu'elle s'impose, mais également celle qu'on lui prête. Les personnes dans la rue sont au mieux méfiantes, au pire violentes avec elle. Le film entaille donc cette nécessité de réussite dans la société américaine, ces familles trop parfaites, et le besoin de bouc-émissaire.
Lynne Ramsay joue également quelques fois sur les petits détails qui ont du sens, par exemple gratter la peinture rouge sur les vitres avec une lame de rasoir (Eva pense-t-elle au suicide ?) ou la musique diffusée dans le supermarché au bout de vingt minutes de film (je vous laisse écouter et chercher la signification du morceau).


Sans jamais tomber dans le pathos, dans la justification, We Need To Talk About Kevin s'en tient à un cheminement factuel : voila ce qu'il s'est passé, et voila comme une mère le vit. Les flashbacks laissent deviner assez rapidement le dénouement tragique de la situation entre Kevin et sa mère. Malgré tout, par un tour de force cruel mais qui sonne juste, le film parvient à réserver des surprises.
Il ne cherche pas à répondre à la question "Pourquoi ?". Pourquoi Kevin fait-il absolument tout pour pourrir la vie de sa mère, pourquoi en arrive-t-il à de telles extrémités ? Là n'est pas l'essentiel. La question est "Comment le vit-on ? Comment tenter de se reconstruire ?".


Le réponse est cruelle et terriblement lucide, comme l'est entièrement We Need To Talk About Kevin. Lynne Ramsay délivre un drame dur mais parfaitement maitrisé sur les relations familiales conflictuelles et la vie avec des personnes comme Kevin.
Atypique, brillant et impitoyable.

QuentinYuanMalt
8
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le 12 nov. 2017

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Yuan Cloudheart

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