L’affaire du Sofitel n’est pas simplement l’occasion putassière pour Ferrara de se faire les dents.

Par Louis Blanchot

Ce ne sera une nouvelle pour personne, le cinéma d’Abel Ferrara a toujours été aimanté par deux gouffres : le stupre, l’addiction. Matin Scorsese, avec qui il partage ses origines italiennes, mais surtout une vieille passion contrariée pour le catholicisme et la coke, tourne à peu près autour des mêmes marottes. Sauf que l’orgueil et le génie du réalisateur de Casino l’ont toujours poussé à voir les choses en grand : montrer comment l’addiction mène à la puissance, la puissance à la démesure, puis la démesure à la chute, forcément. D’où, avec Le Loup de Wall-Street, des airs d’oeuvre somme et parodique, une allure de gigantesque partouze qui fuserait de tour de force en tour de force, d’un pic à un autre, bondissant sur une filmographie reconvertie en chaîne de montagnes. Welcome to New York est, lui, à l’inverse, plus enfoncé, articule des creux et des confinements. Pour continuer la métaphore montagneuse, on pourrait dire qu’il est coincé dans un cirque : à chaque séquence, la filmographie de Ferrara semble y dégouliner sans panache, charriant ce qu’elle peut de faunes sordides et de flores poisseuses. Le récit flotte ainsi à la surface d’un lac amorphe, fait d’hôtels quatre étoiles et de grands appartements qui ont beau vouloir fleurer le luxe, sentent irrémédiablement l’eau croupie.

Chez les deux enfants terribles, jouir est une manière pour leur Pantagruel de se croire invincibles, de mettre à distance la réalité humaine en s’y essuyant les pieds. Mais moins de rise and fall chez le réalisateur de Bad Lieutenant, on commence souvent dans le fond de la cuvette : l’ambiance y est déjà sordide — et la grâce, absente (« Where are you ? » hurlait Harvey Keitel, à genoux, devant le Christ en sang). Il s’agit de montrer comment l’addiction mène à la tristesse, la tristesse au mal, le mal à la tristesse — puis de nouveau, la tristesse au mal, etc. L’affaire du Sofitel — mais aussi, en vérité, l’affaire du Carlton, que le récit convoque d’emblée à la fête — n’est donc pas simplement l’occasion un peu putassière pour Ferrara de se faire les dents. Mais, par le biais d’un événement que l’hystérie médiatique nous a fait connaître par coeur, et dont le film suit le parcours factuel à la façon d’une mauvaise docufiction, un prétexte pour se recroqueviller encore un peu plus sur lui-même, assécher ses motifs en les débarrassant de toute leur pulpe. C’est, ici, évidemment, une manière littérale de dénuder sa figure fétiche (l’ordure à l’agonie, à la rédemption impossible), en se reposant sur l’exhibitionnisme ingrat de Gérard Depardieu, qui fait don de son corps flasque et dégoulinant, s’offre sans chichi en bête de foire ventripotente, grosse bedaine et couilles ballantes. Mais c’est aussi une manière d’aplatir la littéralité des faits jusqu’à l’insignifiance, rabaissant, dans un même mouvement de débauche vaine et fatiguée : le fait divers, le personnage, l’interprète, le film tout entier.

Face à une première partie réduite à une suite de dialogues éructés et d’orgasmes précoces, on pense très vite, trop vite, que Welcome to New York va être complètement nul, que DSK est un personnage dont ni Ferrara ni Depardieu ne vont savoir quoi faire, si ce n’est un gros éléphant de la décadence : un porc à putes plutôt qu’un homme à femmes, un Bibendum libidineux et goguenard, promis à la présidence de la France mais réduit in fine à se faire enguirlander par sa mère, consternée que son môme ait détruit tout ce qu’elle mit tant de temps à échafauder — et tout ça, pour une mauvaise histoire de braguette et de lutte des classes, un « troussage de domestique ». Il y a trois ans, quelques mois à peine après l’avènement de cette affaire, et alors que le fin mot de l’histoire ne s’était pas encore monnayé, sortait Shame de Steve McQueen, lui aussi portrait d’un sex addict à New York, qui se dressait à son insu comme miroir fictionnel de cette actualité désopilante. Surjouant le chic et sa désolation, le film souffrait forcément de la comparaison avec le réel, tant paraissait vaine sa façon de ciseler le sordide dans un glacis poseur, tant paraissait hypocrite ce traintrain de golden boy colligé en chemin de croix. (...)

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Chro
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le 21 mai 2014

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