Se détacher: comparaison entre Maps to the stars, Welcome to New York et Godzilla

(Nb: l'article est une analyse comparative entre Welcome to New York, Maps to the stars et Godzilla, vous trouverez donc trois fois le même article avec la même note, sur l'affiche de chacun de ces films)

L’idée est de faire une analyse comparative entre trois œuvres à priori très différentes l’unes de l’autres : Maps to the stars, Welcome to New York, et le Blockbuster Godzilla. Contre toute attente, l’expérience n’est pas si aberrante, même si les deux premiers ont des connexions évidentes.

Maps to the stars et Welcome to New York sont deux projets modestes, produits par des compagnies indépendantes, avec un budget dérisoire, et une caméra numérique, forcément moins coûteuse que du 35mm. Le passage au numérique pour Cronenberg a marqué une avancée frappante dans son esthétique, et ce depuis A dangerous method. Son cadrage évoque quelque peu les plans carrés et comme étirés d’autres œuvres indépendantes contemporaines, comme Passion de Brian de Palma et La piel que habito de Pedro Almodovar. Rien de bien étonnant quand on sait que le premier a engagé le chef opérateur du second pour son thriller. Et même si De Palma a tourné en 35 millimètre, ces particularités visuelles, reconnaissables dans plusieurs films, marquent l’avènement d’une normalisation esthétique dans le cinéma d’auteur. Des plans fixes et frontaux, accompagnés d’une succession de dialogues eux mêmes « plan-plan » qui cherchent à dépasser la simple logique du dialogue narratif expéditif et qui s’enfoncent dans le cabotinage. Maps to the star en est un exemple frappant, et le déroulement du dialogue emmène les personnages vers des clichés de caractères et des états psychologiques stéréotypés auxquels le spectateur s’attend et qui finissent par le lasser.

Ceci n’est pourtant pas un réel défaut compte tenu du propos de Cronenberg. C’est même le prix à payer que choisit le cinéaste pour dépeindre avec justesse cette férocité hollywoodienne. Et si la peinture des rouages insalubres de cet univers n’est ni nouvelle ni originale, l’intérêt du film est qu’il cherche à sortir du schéma de fantasme et du glamour que peut engendrer Hollywood, et pas uniquement par le contenu sordide de ses scènes. A l’inverse, son illustre aîné, Boulevard du Crépuscule, ne pouvait éviter d’entrer dans un classicisme romantique. La remise en cause d’Hollywood ne s’attaquait pas à ses codes de narration et d’esthétique chez Billy Wilder. C’est tout le contraire dans Maps to the stars, où tout y est superficiel.

Cronenberg joue à fond la carte du sordide et du malsain et désamorce immédiatement toutes les tensions par des coupures brutales, pour énerver le spectateur et l’empêcher d’adhérer complétement à sa fiction. Son détachement à Hollywood doit être le même pour celui qui voit le film, et pour cela, malgré ses suffisances et ses maladresses, Maps to the stars réussit son pari.

La question du numérique n’était pourtant pas centrale dans ce film, à l’inverse d’un Godzilla entièrement en image de synthèse, par exemple, et qui interroge sur la représentation de son monstre. En revanche, Welcome to New York est particulièrement intéressant par son non-intérêt d’une technologie et d’un media du pouvoir. Le film traite en effet d’un homme de pouvoir, et pourtant aucun portail médiatique, c’est-à-dire une vue au travers d’un écran télévisuel, ne vient mettre en valeur ce pouvoir. Le sur-cadrage et l’effet portail ont souvent été un moteur de jeu de domination et de puissance dans le cinéma. L’on se souvient par exemple de l’écran géant du patron surveillant ses employés dans les Temps modernes de Chaplin. Dans Maps to the Stars, le personnage de Cusack regarde avec inquiétude son interview sur un écran, symbole ironique de son impuissance face à la gestion de ses problèmes familiaux.

Au contraire, tout reste intime dans Welcome to new York, de ses séquences à son dispositif. Ce dispositif filmique est d’ailleurs sans doute semi professionnel, même si le cinéaste est accompagné de son chef opérateur de toujours. Qualifier le film d'amateur serait sans doute injuste pour un réalisateur de la trempe de Ferrara, d'autant que l’oeuvre reste avant tout la signature d'un auteur, et se fond totalement dans sa filmographie. Ferrera en effet, à la manière de Scorsese ou d’Allen, est resté fasciné par New York, filmant les tréfonds de la crasse urbaine et des perversités humaines. L'homme y est entièrement dépouillé, jusqu'à la nudité. Gérard Depardieu ne fait pas exception, mais on se rappelle déjà de la carcasse nue et musclée de Keitel, déplaçant avec lourdeur son corps engourdi, écartant ses bras tels un crucifié, au fin fond d'une chambre d'hôtel miteuse, dans Bad Lieutenant.

Et bien malgré lui, par ces aspects, Godzilla se rapproche aisément des deux autres films. Lui, le symbole du désespoir japonais, protecteur paradoxal, craint et aimé, né de la destruction et du nucléaire. Né des cendres d’Hiroshima, du moins de son spectre, et devenu malgré tout l’ange gardien d’un Japon en reconstruction et en passe de devenir l’une des principales puissances mondiales, à l’aube des années 60. Il vient lui aussi des tréfonds, de l’indésirable, et gouverne le monde bien malgré lui, tout comme Devereaux dans Welcome to New York.

Il flotte d’ailleurs, au début de Godzilla, un doux parfum de retro et de distance. Avec ces couleurs un peu fades, et ce cadre rectangulaire, imposant et distant, souvent en plan large. Même les accessoires sont rétros, des combinaisons avec lumière sur le visage des personnages, aux instruments de mesures pour le niveau de radiation. Dans certaines séquences, les bunkers de l’armée ne peuvent empêcher certaines réminiscences. Le spectre de la seconde Guerre Mondiale est bien là, mais la distance n’en est que plus marquée.
Le générique, à lui seul, est incroyablement frappant, mélangeant des images d’archives tirées d’on ne sait où, se faisant passer pour vrai mais assumant leur artificialité. Et les noms du casting et de l’équipe, tout comme les données qui se font barrer par un marqueur invisible, renvoyant le film a lui même, à un passé englouti, à la fois réel et inexistant. L’homme disparaît au profit d’un objet entier, d’un objet autonome dérivé d’une folie humaine, et s’étant adapté naturellement à son environnement. Un jeu d’effacement de la vérité face au montage qui rappelle le générique de Redacted, de Brian de Palma.

La distance et la désincarnation de Welcome to New York, quant à elle, passe par la froide mise en scène, où tout semble faux et fade. C’est pour cela que le film s’ouvre sur l’interview de Depardieu expliquant pourquoi il a accepté de jouer ce rôle. Et les mouvements de caméra du cinéaste n’arrangent rien, jouant avec ironie des normes documentaires démonstratives et voyeuristes (les recadrages sur les gestes déplacés, l’insistance sur les émotions exposées).

Cependant, ce qui achève de réunir ces trois films se résume par leur fin, à la simplicité déconcertante ; presque une épuration singulière et libre d’interprétation. Trois plans fixes calmes qui expédient la fin du film et le générique ; Ce qui est d’autant plus marquant pour le Blockbuster. Godzilla, aussi irrationnellement qu’il est né, des expériences nucléaires, s’en retourna à la nature, dans les eaux profondes et calmes. Une image qui restera dans la mémoire du spectateur, simplement l’océan à perte de vue, le clapotement de l’eau, et l’arrivée du générique technique défilant, sans star-system, sans réalisateur, sans producteur. Juste le film, tel qu’il est ; et dans Welcome to New York, non plus Strauss Kahn auquel le spectateur a pensé tout le long, mais juste le personnage, vidé, comme le regard de Depardieu ; et non plus les adolescents rêvant de succès dans Maps to the stars, mais une caméra flottante qui s’éloigne en filmant le sol, se libérant enfin de l’attraction terrestre et des futilités sociales qui la retenait. Trois fins qui mettent en scène le détachement d’un cinéma numérique qui cherche peut être à lâcher prise, et à libérer le spectateur du joug de l’ultra adhésion.
Alain_Zind
8
Écrit par

Créée

le 12 juin 2014

Critique lue 317 fois

Alain_Zind

Écrit par

Critique lue 317 fois

D'autres avis sur Welcome to New York

Welcome to New York
Truman-
2

Critique de Welcome to New York par Truman-

Le voilà le tant attendu film sur DSK, on attendait une bombe sulfureuse, foudroyante et très osé mais finalement nous n'avons qu'un film mi vulgaire, mi ridicule . Entre provocation gratuite,...

le 19 mai 2014

30 j'aime

5

Welcome to New York
FPBdL
2

Festival de Kahn, on y mange que du porc.

Le Dodo du film est un drôle d'animal. Avec lui les femmes c'est cool, il en propose à ses potes à la place du café. Pour démarrer la réunion c'est plus convivial... Téléfilm projeté en marge du...

le 26 mai 2014

28 j'aime

3

Welcome to New York
IlanFerry
3

Welcome to New York : excusez le, il sort de la douche !

Lorsque l’affaire DSK éclata en 2011, elle fit l’effet d’une véritable bombe dans le monde politique mettant ainsi en lumière le mode de vie dissolue d’un homme que beaucoup voyaient déjà comme le...

le 18 mai 2014

24 j'aime

Du même critique

#Chef
Alain_Zind
7

#Chef - journal de bord Deauville 2014

#Chef, de Jon Favreau, sous son apparente légèreté, impose une arrière pensée lourde, voire suffocante, si l'on se met à la place du cinéaste. L'histoire d'un Chef etoilé qui aimerait innover dans...

le 9 sept. 2014

8 j'aime

2

Fruitvale Station
Alain_Zind
8

Authenticité

Il est bien difficile de juger un premier film. Va-t-on s'attarder sur l'audace de la realisation, ou, dans un premier temps, sur la justesse du ton general? Que peut chercher un réalisateur ? En...

le 2 sept. 2013

7 j'aime

It Follows
Alain_Zind
7

Critique It Follows - Journal de bord Deauville 2014

Un film d'horreur qui n'a pas à rougir de se confronter aux autres sélections de ce festival de Deauville 2014. Il faut aller plus loin, lors du visionnage, que la simple lecture d'une chronique...

le 12 sept. 2014

5 j'aime