«If the doors of perception were cleansed everything would appear to man as it is, infinite.» C'est de ce vers, tiré du poème de William Blake A Memorable Fancy, que s'inspire Jim Morrison pour le nom de l'illustre groupe de rock psyche. Mais le caractère unique des Doors tient autant de leur talent inventif (notamment celui du claviériste Ray Manzarek) que de l'aura érotique, mâtinée de chamanisme, qui enveloppe leur interprète. Il faut ajouter à ces ressources narratives la pléthore de scandales et d'énigmes qui ont jalonné leur brève carrière, en figures de proue de la contre-culture des sixties brisés par la soudaine - et non moins étrange - mort de ladite idole. Jim Morrison le désaxé, chanteur complexé qui se rêve poète, décède dans des circonstances douteuses à Paris, en 1971 ; en tant que cinéaste, il est facile d'y voir quantité de métaphores. La jeunesse éprise de liberté, celle qui prétendait fendre en deux cette Amérique du conformisme, trouve là une petite mort qui se superpose à d'autres cadavres maudits (Jimi Hendrix, Janis Joplin). Autrement dit, pas besoin de beaucoup d'imagination pour tirer un riche documentaire, voire même une intrigue intéressante, d'une telle matière à mythes. Et c'est peut-être là le piège dans lequel est tombé When you're strange.

Car Tom DiCillo, dont le sens de la photographie a pu être admiré chez Jarmusch (Stranger Than Paradise, Coffee and Cigarettes), mais celui de la réalisation un peu moins dans ses plus récentes séries TV (Monk, NY Police Criminelle) n'est pas le premier à avoir flairé le potentiel du filon. Martin Scorsese, Brian de Palma mais aussi William Friedkin s'étaient déjà penchés sur l'affaire, avant qu'Oliver Stone ne réalise effectivement un premier biopic, le très moyen The Doors, en 1991. When You're Strange tente en quelque sorte d'exorciser le trop-plein d'idées et de modèles à suivre : Tom DiCillo y croise des images d'archives, des lives TV, des coupures de presse, des inédits et refuse, chose rare, de laisser place aux témoignages a posteriori (de type experts, biographes, etc.) dans une perspective assez vivante et enlevée. Le biopic s'ouvre par exemple sur une scène épurée, dans laquelle un autostoppeur apprend, en plein désert, la mort de Jim Morrison à la radio. Ce mécanisme est réintroduit à plusieurs reprises, créant des chocs qui rapprochent When You're Strange d'un travail composite, entre fiction esthétique et journal historique narré par Johnny Depp en voix off. Cet effort de démarquage, s'il emmêle parfois la narration, s'appuie sur une photographie tout en contrastes, originale, un brin irréelle.

Après 25 minutes certes peu informatives, mais plutôt entraînantes et très lumineuses, le film se laisse peu à peu glisser dans la facilité. La gloire dorée et le parfum de soufre qu'embrassaient les Doors sont appétissants, tant il est aisé d'en faire un catalogue tapageur : acides, argent, alcool et autres provocations défilent sans grâce ni passion, sans que n'en soit expliqué le coeur. Comme si l'icône Jim Morrison n'était en fait que le fétiche d'une époque aveugle et capricieuse, privée de visée artistique. Jamais le film ne prend le risque de détailler ces choix, de contextualiser les hymnes enchanteurs de The Doors ou The Soft parade ou de souligner les fractures au sein du groupe. A rebours du Control d'Anton Corbijn, récit presque fataliste de la courte vie d'Ian Curtis, When You're Strange s'applique à rester en surface des faits, calque et recoupe les dires intempestifs de tabloïds, jusqu'à perdre en intérêt - surtout d'un point de vue cinématographique. En dépit d'une trame euphorisante et bien rythmée, le film manque de grandeur et d'ambition biographique, ce qui laisse encore une fois en suspens un travail de fond sur les méandres de génie des Doors.
goldie
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le 28 juin 2011

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