Aïe le malaise… Pour ceux qui ne le savent pas, oui, j’ai toujours reconnu les limites du style Moore : regards sélectifs, biais, surenchère de l’émotion… Et pourtant, jusqu’à présent, je trouvais que ces artifices, bien qu'intellectuellement discutables, allaient malgré tout dans le bon sens. Oui c’est vrai, tromper c’est tricher. Mais d’un autre côté, les hommes et les femmes totalement rationnels ne sont pas le public-cible de Michael Moore. Les gens rationnels, qui aiment qu’on pèse et qu’on source les propos n’ont pas besoin de Michael Moore. Ils sont déjà documentés sur l’état du monde. Ils ont déjà une opinion faite sur les systèmes qui fonctionnent et qui dysfonctionnent. Ils n’ont pas besoin d’être forcément « éveillés » par le documentariste trublion de Flint. Pour moi, le cinéma de Moore est avant tout un cinéma de sensibilisation par une certaine forme d’émotion. Or, jusqu’à présent, je trouvais que l’ami Moore avait toujours su trouver un ratio acceptable entre ses raccourcis intellectuels et sa volonté de toucher au but rapidement et fortement. Mais bon… Là, avec ce « Where To Invide Next », je trouve clairement que tout l’édifice s’écroule. Dans ce film, Moore semble ne se poser aucune limite. Le biais et la sélection ne sont plus ici quelques écarts afin de donner de la force à la démonstration, ils sont devenus ici systématiques. Le biais est devenu la règle. Michael Moore ne semble plus du tout se soucier de la réalité. Nostalgique du choc qu’il avait vécu en traversant l’Europe quand il était jeune adulte, voilà qu’il veut absolument nous transmettre ce choc là. Malheureusement cette Europe n’existe plus, alors il essaye de nous la reconstituer en voyant les quelques parcelles qui en ont survécu, occultant tout le reste. Ainsi l’Italie devient un pays où on est payé des blindes avec le consentement total de ses patrons, sans problème et sans crise. En France, toutes les cantines sont des restaurants trois étoiles où personne ne connait la junk food, et où avoir une maire noire semble quelque-chose de totalement commun. En Allemagne, les emplois précaires n’existent pas et l’extrême-droite y a totalement disparue. En Islande, les femmes ont pris le pouvoir et depuis c’est un paradis politique et financier pour le monde. Et enfin, en Tunisie, la démocratie est désormais une réalité merveilleuse dans laquelle même les Islamistes s’inclinent face à cette fontaine intarissable de liberté… Ralalah mais qui peut y croire ?! Personnellement, j’ai passé mon temps à me demander quel était la part de réalité que je pouvais tirer de chaque récit. Tout paraissait tellement casté. Personnellement, je ne sais pas comment Michael Moore s’y est pris pour sélectionner ses lieux, ses témoins, ses situations… Tout parait tellement forcé que ça se transforme presque en une gigantesque blague durant laquelle le pauvre Michael cherche autant à embobiner l’Américain moyen qu’il accepte lui-même de se faire embobiner par des entrepreneurs et services publics ravis de lui servir la soupe pour réaliser une très belle opération de com’. Trop c’est trop. Mais vraiment ! Le pire c’est que le film aurait pu être sympa au vu de son propos et de son intention. Regarder ce qu’il se fait ailleurs et faire l’effort de changer de paradigme : l’intention est belle. Mais peut-on vraiment espérer arriver à ses fins en bombardant le spectateurs d’images d’Epinal grossières, le tout agrémenté de raccourcis incroyables comme « la testostérone facilite les crises financières, avec des femmes cela ne serait jamais arrivé » ou bien encore de réécrire binairement l’Histoire, comme celle de la Tunisie, où on nous laisse sous entendre qu’il a fallu faire chuter Benali pour que la femme ait accès à l’IVG, alors qu’en fait, l’accès à l’IVG s’est fait sous Bourguiba, le président dont Benali s’est fait le continuateur. Bref, souvent c’est drôle à ses dépends, parfois c’est franchement gênant de révisionnisme, et au final, rares sont les moments où on fait ce à quoi nous invite Moore : regarder le monde selon un paradigme nouveau. Bref, c’est un beau foirage que voilà. Moore a beau être un trublion fort sympathique, il perd tout intérêt quand il décide de faire totalement fi des réalités. Un film bien triste que voilà. Espérons que le célèbre documentariste saura redresser la barre pour son prochain film…

Créée

le 19 sept. 2017

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