"J'aurais dû choisir triangle..."

ENFIN!!! quiconque a déjà eu la chance de voir (ou d'entendre! Portal 2 anyone?) l'une des précédentes performances de JK Simmons, a surement déjà fantasmé sur un film de ce genre, un film qui donnerait à son phrasé caractéristique, à sa capacité à s'approprier le dialogue, et à son autorité naturelle la place qu'ils méritent.
Bref, ce film est là, c'est Whiplash et rien que pour ça, ça vaut le coup de se rendre en salle.

On a donc l'histoire d'un jeune batteur repéré par Terence Fletcher, LE prof de musique dont la réputation transcende le temps et l'espace, qui va avoir la "chance inestimable" d’intégrer son orchestre. Alors déjà, contrairement à ce que m'avait laissé pensé la bande annonce, le film ne se concentre pas uniquement la relation qui unit le maitre et l'élève, mais aussi, voir surtout, sur l'insatiable exigence , décuplée par Fletcher, que s'impose Andrew, le personnage principal. Sur certains plans, la façon de filmer JK Simmons peut même laisser penser qu'Andrew est seul, et que Terence n'est qu'une incarnation des attentes impitoyables que le héros s'est fixé. Il faut dire que ce garçon, la batterie c'est un peu tout ce qui le définit l'estime qu'il a de lui même. On comprend facilement pourquoi Fletcher aura tant d'emprise sur lui par la suite. La relation des deux personnages n'est donc pas un diabolique et subtil jeu de pouvoir, dès le début Terence annonce clairement la couleur, pas d'escalade machiavélique dans le pouvoir que ce dernier exerce sur lui. Terence n'est pas l'élément ou l'obstacle central du film, mais plus un tisonnier qui entretient et attise le danger que représente Andrew vis à vis de lui même.

L'exigence et le dépassement de soi sont donc au cœur du film, mais attention, pas le glorieux, le beau, l’héroïque dépassement de soi, non non, le dépassement de soi malsain, sale, qui consume l'individu et qui, une fois que ce dernier est réduit en cendres sur l'autel de la performance, exige de lui les efforts supplémentaires qui lui permettront de se hisser au dessus de sa condition humaine. Bref, le dépassement de soi au sens propre. Sans s’embarrasser d'un aspect éthique et moral, c'est un point de vue sur la performance et les sacrifices nécessaires pour y parvenir qu'on peut trouver extrême, mais qui est cohérent et bien représenté.

Sur la forme, Damien Chazelle dirige son film aussi précisément que Terence dirige son orchestre. En résulte une mise en scène remarquable, des scènes de tensions captivantes, des scènes de concert uniques où l'orchestre fonctionne comme une machine parfaitement huilée. En coulisse, le réalisateur n'omet cependant pas de représenter l'aspect organique du chœur, que Fletcher presse comme un citron, dimension organique dont les musiciens doivent apprendre à faire abstraction pour n'exister qu'à travers leurs instruments.

La photo est superbe, chaleureuse dans les moments de calme, oppressante dans la tension, moite dans l’épuisement et solaire dans l'extase.

Ma petite réserve au sujet du film concerne le développement du personnage de Fletcher. Oscillant entre prof sadique dont la répartie cinglante en fait un personnage assez sympathique, et l'incarnation fascinante de l'exigence dans laquelle il n'a presque plus rien d'humain, l'humanisation de ce dernier arrive un peu maladroitement selon moi dans la construction du personnage. Les autres facettes de sa personnalité sont très bien amenées et font écho les unes aux autres, mais la scène ou il se laisse émouvoir sort de nulle part, et n'exploite aucune des facettes qui nous ont été présentées précédemment. Certes, elle trouve son sens plus tard dans le film, lorsque ce dernier partage sa vision de l’enseignement et des sacrifices nécessaire au nom de l'excellence. La cohérence du personnage est donc préservée, ce dernier apparait même comme remarquablement bien écrit, mais il reste selon moi un petit problème de narration.

Si sur le moment l'immersion en pâtit un peu, on est cependant très loin d'un défaut majeur qui gâcherait le film, et il est chaudement recommandé de se précipiter sur cette œuvre dans les plus brefs délais.

Point positif bonus : Si on aime le Jazz, c'est magique, si on aime pas, on aimera le temps d'un film, et c'est magique quand même.
Mut
8
Écrit par

Créée

le 25 déc. 2014

Critique lue 385 fois

Mut

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