Même si un des personnages du film dit qu'il n'y a pas plus néfaste dans la langue anglaise que " good job " c'est les seules mots qui me viennent à l'esprit pour résumer ce film. Car du haut de ses 29 ans, Damien Chazelle, petit prodige qui promet déjà de grand chose, vient de réaliser une oeuvre fascinante, enivrante et intelligente et qui s'impose d'emblée comme un des meilleurs films de 2014. D'ailleurs cette critique sera assez courte car j'ai beau chercher, je ne trouve aucun défauts à ce film.
Scénaristiquement on peut déjà voir des thématiques d'auteurs qui émergent, Chazelle signant ici son deuxième film qui a le jazz en commun avec son premier film, et il n'est pas étonnant de voir que dans son prochain film le jazz prendra une place plus ou moins important. Il a ses thématiques et il les explore de façon intéressante. Ici il fait dans le demi-mesure, il ne cherche pas l'esbroufe ni la prétention contrairement à ses personnages. On essuiera le seul écueil du film avec eux d'ailleurs, car mis à part le prof et l'élève aucun n'autre ne sera développé, comme la relation amoureuse que le film expédie assez vite mais cela s'explique assez bien par les intentions de l'ensemble et cela n'est au final pas gênant. Car le but est justement d'isoler le personnage principal, on le voit bien lors de la scène du dîner avec sa famille ou il est incompris et mis de coté, et le manque de développement ou de personnalité des autres personnages est voulu pour créer une réalité ou seul le prof et son élève existe. Comme le dit d'ailleurs le prof lui-même, certains personnages n'ont qu'une utilité fonctionnelle, celle de motiver ou booster le personnage principal. Le film s'impose donc très vite comme un duel entre les deux personnages, qui dépasse même le stade de la musique qui n'est là que parce que le réalisateur est fan de jazz et que c'est un univers passionnant qui poussent au dépassement de soi, qui est une des thématiques du film. Le duel devient donc universel, l'élève nous représente nous tandis que de devenir un grand, le but à atteindre et le prof, les obstacles de la vie à surpasser. Le film devient donc une thèse passionnant et pertinente sur le dépassement de soi, sur le perfectionnisme et sur le prix à payer pour être bon dans quelques choses, le talent n'est pas inné, il s'acquière par le sang et la sueur en se remettant toujours en cause et en travaillant sans relâche et l'anecdote sur Charlie "Bird" Parker sert précisément à souligner ce propos. Ce face à face psychologique ce révèle donc intense et relativement bien écrit grâce aux deux personnages principaux qui sont fascinants et troubles, l'un est une victime consentante qui ressemble beaucoup plus à son bourreau qu'il ne voudrait l'admettre, chose que l'on remarque bien par son air supérieur qui juge les gens et qui fait souvent preuve de froideur et de dédain ( la scène de la rupture ou la scène du dîner ) tandis que l'autre est un tyran manipulateur à l’ego surdimensionné. D'ailleurs sa psychologie est très complexe, on a vraiment du mal à voir ses intentions parfois notamment lors du final qui tourne de façon inattendu mais si d'une certaine manière on devait s'y attendre, je vois d'avantage ce personnage comme quelqu'un de talentueux mais pas suffisamment pour avoir eu une carrière prodigieuse et devenir un grand, qui est dure avec ses élèves par vengeance mais aussi pour les poser à l'extrême afin de trouver le nouveau Charlie Parker et de pouvoir s'élever avec lui. Comme un père qui rêve de s'élever à travers le succès de son fils, c'est un homme à l'ego énorme et blessé qui n'agit que par vengeance et intérêt car il aime par dessus tout sa passion, le jazz. Sur ce point le film pousse brillamment à la réflexion, la psyché des personnages étant assez dense on s'interroge vraiment sur leur motivation réelle, d'ailleurs lors de la scène ou le prof dit à l'élève qu''il ne doit pas ce faire de soucis car il est là pour une raison, cette raison prend différent sens et permet d'ouvrir le film au débat, chacun ayant sa propre interprétation selon sa vision du film. C'est clairement lui la grosse réussite du film, un personnage captivant à la personnalité retorse tandis que Andrew ne démérite pas non plus et qui est aussi trouble que son mentor.
D'ailleurs le casting est au diapason de ça, les deux acteurs nous donnant la définition parfaite d'une interprétation habitée, Miles Teller étant impressionnant de bout en bout s'imposant comme la révélation du film car il ne se laisse jamais bouffer par son partenaire et arrive à tenir le niveau ce qui n'était pas chose aisé, il est vraiment excellent surtout face à un J.K Simmons magistral. Son interprétation m'a laissé sur le cul et est sans doute une des meilleurs que j'ai vu cette année, il prouve que la transformation physique n'est pas nécessaire pour faire un travail de grand. Que ce soit dans son regard magnétique et terrifiant, dans son sourire tantôt perfide tantôt bienveillant, dans ses intonations de voix, chaque nuances de son personnage il les retranscrits à la perfection.
Sinon la réalisation est elle aussi parfait avec une photographie léchée et très esthétique, un montage s'alliant parfaitement au rythme du jazz et une musique absolument génial, je ne suis pas un grand fan de jazz mais ici les morceaux choisis sont vraiment excellent. La mise en scène de Damien Chazelle est inspirée et ingénieuse, il compose ses plans avec intelligence et l'ensemble est tenue d'une main de maître. Il s'impose d'ailleurs comme un véritable chef d'orchestre filmant avec rythme et maestria disposant de passages vraiment sensationnels comme la scène très brutale de l'accident et les scènes de cours qui sont d'une tension folle, on appréhende vraiment ses passages en ce demandant comment et quand ceux-ci vont déraper, on nous place dans le même état d'esprit que le personnage, en appréhension constante. En ça le final est sans aucun doute un des climax les plus intenses et prodigieux que j'ai vu depuis un certain temps, la composition de la scène, le talent des acteurs, la tension, le rythme et etc, tout ici atteint son paroxysme dans un moment de cinéma inoubliable et culte qui confine à lui seul à un coup de maître et qui vaut au film le statut de chef d'oeuvre.
En conclusion Whiplash est donc bel et bien un magnifique chef d'oeuvre, un film comme on en voit trop peu qui sonne tout le temps juste, qui ne connait aucunes fausses notes et qui ne s'oublie pas facilement. On est en face d'une oeuvre fascinante et obsédante ayant parfaitement conscience d'elle même et des thèmes qu'elle abordent, même si elle peut paraître inaccessible en raison de l'univers qu'elle aborde, elle se montre universelle et juste de par son intelligence. Plus qu'un coup de maître, un coup de génie.
Frédéric_Perrinot
10

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le 28 déc. 2014

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Flaw 70

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