Le film s’ouvre sur un lent travelling avant, très bien effectué, ni trop court, ni trop long, qui débouche sur le héros, Andrew Neyman, jeune batteur de son état. Les couleurs choisies dans un camaïeu de vert et de gris apportent d’emblée une tonalité sombre et inquiétante, on sent qu’un drame ou deux vont éclater à un moment ou un autre.

Pour l’instant, Andrew est en train de pratiquer, seul face à sa batterie, la concentration imprimée sur son visage tirant déjà vers une forme de souffrance, de déplaisir même. Il est un étudiant au Conservatoire de Shaffer, en plein New-York, une institution fictive réputée être la meilleure du pays pour former les musiciens. Au bout du travelling, un homme qui entre dans la pièce, sur la pointe des pieds, surprenant Andrew, lui donnant des ordres contradictoires, sans rien lui dire sur son jeu. Cet homme, c’est le despotique Terrence Fletcher, le professeur le plus craint de tous, en même temps qu’il est la rencontre espérée par les plus ambitieux des étudiants, celui qui fait la pluie et le beau temps à Shaffer, presque un pouvoir de vie ou de mort sur ses étudiants.

Le film est dédié à l’apprentissage et à l’initiation. Il est basé sur un rapport très éprouvant de maître/esclave entre Fletcher (J.K Simmons , impeccable dans son rôle de tortionnaire à la manière du Sgt Hartmann du Full metal jacket de Stanley Kubrick), un homme à la limite de la malhonnêteté intellectuelle, racontant des fadaises à propos de Charlie Parker, humiliant, frappant et insultant ses élèves, sous couvert de les faire progresser, et Andrew ( interprété par l’acteur musicien Miles Teller vu récemment dans Divergente), un tout jeune homme qui n’est pas non plus la blanche colombe, ambitieux et prétentieux, un « artiste » qui se laisse guider par sa tête et non par ses sens, un calculateur qui vit non pas pour la musique mais davantage pour le succès.

Le choix de se focaliser sur un instrument tel que la batterie apporte plus d’énergie et du rythme au film que ne l’aurait fait n’importe quel autre instrument. Les gros plans sur ces cymbales et ces baguettes ensanglantées et souillées par les larmes d’Andrew, ces caisses éventrées par ses coups de poing rageurs, tout cela prend aux tripes, créent une tension que tempèrent plus ou moins les scènes plus intimes comme ces tendres tête-à-tête avec son père ou sa copine. De même, ces champs/contrechamps très virulents entre Fletcher et son élève ne laissent pas de répit au spectateur et doivent sans doute expliquer une bonne part de l’engouement que le film suscite. Car pour le reste, le propos de Damien Chazelle est bien peu aimable. Valider l’idée que la maîtrise de la musique ne peut être que luttes, que larmes, que sang, que l’apprenti ne doit jamais être encouragé sous peine de le ramollir, que de l’humiliation naîtra le génie, tout cela relève d’une vision perverse des relations humaines, d’autant plus que dans le même temps, le rapport avec un père monoparental protecteur et aimant est montré au contraire comme une relation lénifiante qui empêcherait Andrew d’avancer.
Les motivations de Fletcher sont malsaines ; ce qu’il veut c’est un groupe de jazz parfait au service de sa propre renommée, de son propre succès. Celles d’Andrew sont identiques, être le plus grand ou parmi les plus grands. Aucun des deux ne semble être ni au service de la musique, ni encore moins au service de l’autre. Cette bataille d’égo écrasera toutes les autres directions que le film pouvait prendre, la relation douce et littéralement sucrée qu’il entretient avec son père, par exemple, ou l’histoire d’amour avec Nicole, sa nouvelle copine qui fait très vite les frais de cette ambition démesurée.
Le film ne dit rien non plus de la relation d’Andrew avec les autres musiciens, à part la concurrence haineuse et méprisante entre les batteurs. Alors même que la musique est très présente dans le film, et plutôt de très belle manière, car les interprétations dans le film sont très libres , très modernes, ce n’est pas elle qui est au centre des choses, mais la lutte de pouvoir, la manipulation, les épreuves de force, toutes choses que décidemment on associe peu avec l’harmonie qu’on s’attend à avoir quand on parle de musique, et du jazz et de la note bleue en particulier.

Le talent des deux acteurs principaux est indéniable, à mettre en exergue la rage qu’il y a en chacun des personnages. Ils mettent beaucoup de conviction dans leur rôle, beaucoup de vérité, et les réticences que l’on peut avoir par rapport au film provient plutôt du scenario qui manque parfois de crédibilité, et surtout qui manque d’épaisseur, car le film ne repose que sur quelques scènes marquantes qui se répètent en boucle...

Les prix glanés à Park City (Festival de Sundance) ou à Deauville sont malgré tout légitimes, car le film a une forme de sincérité qui mérite d’être reconnu, ainsi qu’une mise en scène soignée , une image travaillée, une direction d’acteurs rigoureuse qui en font un film intéressant.
Bea_Dls
7
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le 29 déc. 2014

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Bea Dls

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