Il est d'une certaine manière assez amusant de voir Whiplash après avoir vu La La Land, et de se dire qu'au fond Ryan Gosling et Emma Stone, c'est juste des petites tapettes, et qu'on aimerai bien les voir trimer au lieu de se plaindre "Oulala la musique c'est difficile".


Après cette intro quelque peu irrespectueuse et caricaturée, difficile tout de même de se remettre d'une telle claque. Une claque intense sur l'apprentissage amusant d'un batteur au sein de la plus grande école de musique du pays et de son sympathique professeur (brillamment interprété par J.K. Simons). Et ce prof représente le traditionnel mais ô combien important tuteur qui te maltraite mais pour ton bien.


Clairement, dans cette bataille du succès le professeur Terence Fletcher est de loin le personnage le plus intéressant, source de conviction pour les autres, mais aussi le plus ambigu. Chacun sait qu'il fait ça pour l'amour de la musique, et pourtant on l'apprécie difficilement. Ici, ses insultes sont d'une tension tellement fortes que juste en gueulant il arrive à plomber l'ambiance (par la comparaison, le Sgt Hartman dans Full Metal Jacket est beaucoup plus amusant à l'égard du spectateur ; ici Fletcher est juste terrifiant). Mais s'il fait ça pour l'amour de la musique, il ne le fait pas pour le musicien, et va jusqu'à même déformer la réalité pour que cela convienne en ses propos


Il va jusqu'à transformer le suicide du trompettiste (qu'on suggère à cause du professeur, à aucun moment la raison n'est expliquée) à un banal accident de voiture.


Ce professeur énigmatique tient aussi une relation étrange avec la musique : faire de la musique, est-ce simplement imiter une partition le plus fidèlement possible ? Selon l'avis d'un grand nombre de musicien, non. D'autant plus que Whiplash tourne autour du jazz, réputé pour ses improvisations. D'ailleurs, on le remarquera dans la scène finale, sa fureur lorsque le batteur "enfreint le règlement".


Enfin on notera que celui que l'on appelle professeur n'en a pas la carrure. Il se contente de dire ce qui est faux, et ne te dit jamais progresser. D'où l’ambiguïté extrême du personnage.




Et avec cet étrange mais fascinant personnage une question s'impose :



À force d'en vouloir toujours plus, ne risque pas-t-on de tout perdre ? À partir de quand en fait-on trop ?



Car la différence entre bien et mal est extrêmement floue. Au début, ça reste unanime, le spectateur souhaite que Andrew (interprété par MiIles Teller dont on n'a toujours pas parlé) progresse, on souhaite qu'il devienne le meilleur. Mais au fur et à mesure de sa détermination, les choses s'empirent. D'abord, on se rend compte qu'en devenant premier il prend la place de quelqu'un qui deviendra "cette merde de remplaçant" aux yeux du prof, puis qu'il va devenir ce type infréquentable et mégalo (la scène de la rupture l'illustre explicitement), puis à force de se torturer se verra comme l'unique recours (les insultes avec le prof). Et durant cette montée en puissance, comme cette descente aux enfers, le spectateur est tiraillé entre deux opinions : certes on est satisfait de voir Andrew progresser, mais on est également dérangé du type qu'il devient.




Enfin, j'aimerai revenir sur la scène finale (donc ça va spoil un peu), celle qui me permet de synthétiser un film selon Damien Chazelle. Tout d'abord, la plupart des gens s'accorde sur le fait que sur le plan technique, c'est irréprochable : en faire une description serait laborieuse étant donné la variété des plans et la façon dont il donne de l'importance (mon préféré reste ce que je vais subtilement appeler "une note, un plan".
Mais au fond, le véritable intérêt de cette scène c'est la pensée du réal : il ne nous donne pas son avis sur si c'est bien le fait d'enfreindre les règles. Certes, on s'éclate, mais il y a une chose qu'on attendait, c'était les réactions du chef et des spectateurs. Et ces réactions ne sont pas donnés. Même si on semble entrevoir un sourire de la part de J.K. Simmons, rien n'est dit clairement... D'où la fin ouverte. Alors tous les gens qui l'ont mis dans le sondage des films aux plus belles fins, un peu de recul, personne n'a dit que c'était bien.


Puisant sa force dans une ambiance pesante constante entre l'élève et le professeur, Whiplash révèle plutôt sa force dans l’ambiguïté de ses propos : il n'est jamais dit si c'est bien ou mal, c'est au spectateur de donner son avis. On regrettera également que la tension manque quelques fois de rigueur (notamment les scènes suivant Andrew au sommet de exécrabilité), mais globalement c'est une maîtrise technique qui renvoie à une ouverture d'opinion.

poulemouillée
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le 29 juin 2017

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poulemouillée

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