Dans ma récente critique de la série Westworld, je faisais remarquer que le western et la science-fiction ne faisaient que rarement un bout de chemin ensemble. Ce n'est pas tout à fait exact ; la sci-fi ou le space opera piochent allègrement dans la mythologie américaine, ce qui poussera George Lucas à citer Il était une fois dans l'Ouest comme une inspiration majeure de Star Wars, ou encore Gene Roddenberry à décrire Star Trek comme un "western dans l'espace". En revanche, il est incontestablement peu courant qu’à l'inverse, les éléments traditionnels de la science-fiction s'invitent dans l'Ouest sauvage du XIXème siècle. C'est peut-être heureux, car lorsque cela arrive, ça nous donne Cowboys & Envahisseurs de Jon Favreau ou bien ce tristement célèbre Wild Wild West signé Barry Sonnenfeld.


Lorsqu'il paraît sur les écrans en 1999, WWW dispose d'un double bagage qui se révélera plus encombrant que bénéfique, contrairement à ce que Sonnenfeld et Warner Bros auraient pu penser : le premier, c'est la série télé des années 60 dont elle est adaptée, Les Mystères de l'Ouest ; le deuxième, c'est le précédent film de Sonnenfeld, Men in Black, immense succès international deux ans plus tôt. WWW est clairement conçu comme un mélange de ces deux franchises, mais il ne faut pas être devin pour comprendre que ce n'était pas un bon calcul : d'abord, parce que quoique populaire (et je garde moi-même un excellent souvenir des épisodes regardés ça et là), la série originale est loin d'avoir conservé le même lustre, trente ans plus tard, que sa contemporaine Star Trek déjà évoquée, sans parler du fait que la fin 90-début 2000 était le no man's land des westerns. Ensuite, parce que le public voulait voir Men in Black 2, pas juste Will Smith sans Tommy Lee Jones dans une histoire de cowboys steampunk.


C'est pourtant ce à quoi nous avons eu droit. Le concept de base est le même que la série : Jim West et Artemus Gordon sont deux agents très spéciaux du gouvernement américain des années 1870, chargés d'enquêter tous les phénomènes étranges et paranormaux survenant dans l'Ouest. Comme souvent cependant (les récents fims Star Trek en sont encore une fois un parfait exemple), le film choisit de redémarrer à zéro en montrant la naissance de la relation entre ses deux héros : West est un véritable maverick, une tête brulée qui tire puis discute ensuite, tandis que Gordon est un savant enthousiaste et un peu fou. La formule est simple et fonctionnait à merveille grâce à Robert Conrad et Ross Martin dans la série.


Dans le film en revanche… c'est une toute autre affaire. West est joué par l'une des rising stars de l'époque, Will Smith, et Gordon par un character actor vétéran, Kevin Kline. Malheureusement, disons-le d'emblée, Smith et Kline n'ont pas un dixième de l'alchimie entre Conrad et Martin, ni un centième de celle entre Smith et Jones dans MIB. Ils font ce qu'ils peuvent, et cela ne veut pas dire qu'il n'ont pas de bons moments, mais sur l'ensemble du film ce n'est pas suffisant. Smith fait du Smith, avec ses grimaces, ses jurons, son sourire et son déhanché. Personnellement son anachronisme ne me dérange pas, le film reste avant tout une comédie et WS est une star. Il aurait cependant fallu qu'il soit contrebalancé par la réserve de Kline… sauf que Kline est trop réservé, trop froid, il donne l'impression de s'emmerder grave. Il n'a pas son ironie mordante d'Un poisson nommé Wanda ou Silverado, ni même l'aigreur paternelle de Tommy Lee Jones dans MIB. Leur duo comique ne marche que par à-coups et en terme narratif est un échec, car le schéma classique de méfiance devenant respect ne fonctionne pas non plus.


Le reste du casting n'est hélas pas plus gâté : là où il était une personne de petite taille dans la série originale (joué par l'excellent Michael Dunn, encore un trekkie!), l'ennemi juré du duo West/Gordon, le docteur Loveless, est à présent amputé des deux jambes et se déplace dans une chaise roulante infernale à vapeur. Rebaptisé Arliss Loveless plutôt que Miguelito pour mieux coller à ses nouvelles racines, c'est un psychopathe mégalomane qui souhaite réinstaurer la Confédération. Will Smith et surtout Kevin Kline ont quelque peu souffert de la mauvaise réputation du film, mais s'il en est un qui s'en est plutôt bien sorti alors qu'il aurait dû prendre plus cher qu'eux, c'est bien l'interprète de Loveless, Sir Kenneth Branagh himself. Sans doute parce qu'il est méconnaissable non seulement par son maquillage (cette ridicule barbe en forme d'araignée…) mais surtout par son "jeu" en totale roue libre (et croyez-moi, c'est un meilleur jeu de mots que la plupart de ceux du film), Brannagh compense la pauvreté du scénario en surjouant ad nauseam son pseudo-accent sudiste qui ferait passer celui de Nicolas Cage dans Les Ailes de l'Enfer pour du Harper Lee dans le texte.


Comme dans les pires James Bond de la grande époque, Salma Hayek n'est là que pour faire la potiche. L'éternel M. Emmet Walsh fait ce qu'il peut en conducteur de train bourru, de même que Ted Levine (Buffalo Bill du Silence des Agneaux) en général confédéré avec un clairon à la place de l'oreille. À noter que le président Grant est également joué par Kevin Kline, qui fait un meilleur job dans ce rôle que dans celui de Gordon…


Je souhaiterais revenir un instant sur le cas Will Smith. Robert Conrad, qui jouait Jim West dans la série, est blanc, alors que Smith est bien entendu afro-américain. Ce n'est pas un problème en soi, bien traité cela aurait même pu tirer le film par le haut, sauf que WWW est un nouvel exemple de grosse production américaine effrayée par la question du racisme. Oh, ils inventent bien un passé tragique à West, fils d'esclaves évadé dont la communauté servit de cobaye aux sordides expériences de Loveless, mais cela ne sert qu'à justifier le changement des sentiments de Gordon à son égard. Je déteste quand Hollywood fait l'autruche et refuse d'évoquer ce problème sous prétexte que c'est une comédie.


Mais là réside peut-être le principal problème de WWW : c'est une comédie, là où à l'instar de la série originale, le film aurait dû être un western plus traditionnel, avec des éléments fantastiques suffisant à le rendre drôle quand il faut, intriguant quand il faut, intense quand il faut. Hélas, Sonnenfeld, qui n'avait pourtant pas commis la même erreur dans MIB, joue la carte du gag à tout va, alors même que Smith et Kline n'ont pas l'alchimie nécessaire. Pas étonnant que nombre de gags tombent à plat et que les séquences d'action manquent sévèrement de punch…


Ce n'est pas pour dire que tout tombe à l'eau (ou dans une "bouillasse abyssale"…) : comme je l'ai dit, le duo principal fait parfois mouche, notamment lorsque leur antagonisme est poussé à bout. Les gadgets sont inventifs et tous très divertissants : la machine volante, le tank de Loveless, ses disques tranchants, le train couteau-suisse, et bien sûr le clou du spectacle, l'araignée-géante en métal. Le mélange de maquettes et d'effets spéciaux des années 90 n'a pas si mal vieilli que cela ! Tous ces éléments sont indubitablement ce qui colle le plus à la série ; on ne s'étonnera donc pas non plus qu'ils offrent ses meilleures scènes au film. C'est lorsqu'ils doivent faire face à de la technologie steampunk bizarroïde que Smith et Kline brillent le plus, pas lorsqu'ils se retrouvent seuls ensemble.


Je le reconnais, j'ai une certain bienveillance envers ce film à la réputation exécrable, que Will Smith a qualifié de "pire de sa carrière" pourtant pas avare en daubes. Cette bienveillance doit beaucoup à la nostalgie, j'avais 8 ans à sa sortie au cinéma et me souviens avoir passé un très bon moment, mais pas que. Ce n'est pas un bon film, mais je ne crois pas que ce soit le désastre absolu souvent dépeint. Trop bancal pour fonctionner comme buddy-cop movie, trop outrancier pour faire office de James Bond de l'Ouest, trop dépendant d'un duo principal qui ne fonctionne pas, Wild Wild West est un plat raté dont les épices peuvent cependant valoir le détour à elles seules, pour peu que vous soyez ouvert aux inventions sorties de chez Jules Verne et ajoutées avec délice au cadre traditionnel du western.


Pour finir, et si jamais vous êtes prêt à lui donner sa chance, je recommanderais le film en VF ; visiblement plus conscients de l'absurdité totale du truc et pas embarrassés par le problèmes des accents, les doubleurs francophones se font plaisir, le toujours parfait Jean-Philippe Puymartin apportant tout particulièrement de peps au personnage d'Artemus Gordon. Ce n'est pas souvent que je dis d'un film qu'il vaut mieux en VF qu'en VO, mais Wild Wild West – pourquoi ne pas cependant avoir gardé le titre français de la série originale ? En voilà un autre, de mystère... – fait partie de ce club très sélect. C'est déjà ça !


Oh, et puis je ne me lasserai jamais de cette chanson. Sorry not sorry:
https://www.youtube.com/watch?v=_zXKtfKnfT8

Créée

le 24 mai 2019

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Szalinowski

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