Un signal d'alarme sur le sort des Amérindiens, manquant toutefois de percutant

Il n’aura fallu que quelques films à Taylor Sheridan pour s’imposer au titre de scénariste américain de renommée. Ayant démarré sa carrière en tant que comédien de séries TV (surtout remarqué dans Veronica Mars et Sons of Anarchy), le bonhomme s’est lancé depuis 2015 dans divers portraits peu engageants de l’Amérique. Celle impitoyable et sans compassion, qui n’a pas peur d’user de méthodes illégales et de passer sous silence ce qu'elle fait pour parvenir à ses fins (Sicario). Ou bien celle qui oublie sa population et la misère que cette dernière doit subir, la poussant à commettre des délits pour survivre (Comancheria). En cette année 2017, Sheridan s’attaque cette fois-ci au pan historique de son pays, et notamment les racines de celui-ci, en suivant une enquête policière en pleine réserve amérindienne. Et pour l’occasion, il prend les rênes du projet en s’octroyant le poste de réalisateur (six ans après son premier film, Vile). Une casquette supplémentaire bienvenue ? C’est ce que nous allons voir !


Tout d’abord, qu’est-ce qu’exactement Wind River ? Un chasseur et une agent du FBI tentant de résoudre la mort mystérieuse d’une jeune femme, retrouvée dans la neige, pieds nus, après que celle-ci ait parcouru une longue distance dans le froid, en pleine nuit ? Sur le papier, oui. C’est du moins ce que nous présente le synopsis du long-métrage. Car si l’on s’enfonce dans les profondeurs du script, celui-ci s’avère être une critique du sort réservé aux peuples Amérindiens. Mis à l’écart de la soi-disant civilisation dans des réserves dans lesquelles sévissent bien des maux : une culture qui se perd de génération en génération (comme en témoigne la dernière scène du film, au sujet des peintures sur le visage), vivant dans la misère, parasitée par des fléaux tels que l’alcool et la drogue (montré par la bande de junkies du film, dont l’un d’entre eux se révèle être le frère de la victime). Et qui, surtout, se désagrège peu-à-peu dans l’indifférence la plus totale. Ici, cela se traduit par le fait que seule la police de la réserve se charge de l’affaire, aidée par un chasseur (le personnage principal) ayant des liens familiaux avec eux (ayant été mariée à une amérindienne) et une jeune recrue fédérale dépêchée en urgences sans vraiment savoir de quoi il retourne (comme s’il fallait boucler l’affaire en quatrième vitesse, ni vu ni connu !). Cette dernière étant, qui plus est, peu familière avec leur façon de vivre et d’être, risquant de les vexer à tout instant. Certes, ces faits ne sont pas nouveaux et plusieurs autres titres les ont déjà évoqué durant ces dernières décennies. Mais une piqûre de rappel ne peut faire de mal, afin de rouvrir les esprits sur cette injustice.


Wind River se contente-t-il pour autant de ce postulat ? Du tout ! Le film permet aux spectateurs de découvrir deux choses bien spécifiques. La première étant une toute nouvelle vision des Amérindiens au cinéma. Depuis toujours – et même en public, dans la vie réelle –, il s’agit de peuples dont les représentants se montrent plutôt fermés, froids et sévères. Ici, via le personnage principal et son lien de parenté, nous avons des Natifs qui s’ouvrent à nous, se lâchant quand il faut pleurer la disparition d’un proche. Ne souffrant plus en silence. Des petites scènes que proposent ainsi le script pour nous montrer à quel point ce sont des personnes comme les autres. Des êtres humains à part entière. Que cette image qu’on nous rabâche sans cesse est d’une connerie monumentale et ferait bien mieux de percuter dans l’esprit des Américains (et d’autres, aussi !) afin qu’on mette fin à leur sort (qu'on les traite comme des sous-Hommes... et encore !), qui sévit depuis trop longtemps. Que ce qu’on considère comme un monde civilisé daigne enfin mettre son indifférence de côté ! Mais cela ne semble pas pour demain, le long-métrage nous apprenant – et c’est la seconde chose que fait découvrir Wind River – un autre manque d’humanité de la part de l’homme Blanc. En une simple phrase servant de résumé pré-générique de fin : le fait que le FBI ne tienne pas de statistiques sur les disparitions de femmes d’origine amérindienne. Que les viols, maltraitances et autres crimes ne sont pas pris en compte par les fédéraux. Un constat qui renforce cette indifférence dont sont victimes les Natifs ainsi que la haine que nous ne pouvons qu'avoir face à cela. Et pour le coup, on remercie grandement Taylor Sheridan d’aborder un tel sujet et de nous en faire part de la sorte, afin de réveiller les esprits comme ont fait tant d’autres personnes avant lui. Mais est-ce que cela sera suffisant ? Malheureusement, j’en doute… La faute revenant principalement au fait que le bonhomme aurait dû laisser la réalisation à quelqu’un d’autre.


Non pas que Sheridan soit mauvais au poste de cinéaste, loin de là ! Wind River prouve que le scénariste sait y faire pour raconter une histoire tout en la rendant captivante. Comment il parvient à magnifier ses personnages en sachant diriger ses acteurs (l’occasion de rappeler que Jeremy Renner est un excellent comédien !), en plus de sa plume. Sa manière de créer une ambiance pesante et tendue juste en mettant l’accent sur les paysages enneigés du Wyoming. Le fait qu’il parvienne sans mal à nous émouvoir, à nous prendre aux tripes comme il faut. Un réalisateur talentueux donc ! Où est le problème, dans ce cas ? Eh bien, dans le niveau de son talent, justement. Taylor Sheridan n’est ni Denis Villeneuve (Sicario) ni David Mackenzie (Comancheria). Il n’a pas ce percutant qu’avaient prodigué ses aînés à leur titre respectif (Villeneuve en tête). Rarement Sheridan n’arrive à rendre son histoire, ses séquences, plus marquantes que la norme, pour justement réveiller les esprits. Il manque à l’ensemble un soupçon de puissance pour rendre le visionnage de ce film inoubliable, indélébile. Il n’en sera rien, Wind River n’étant pas l’uppercut qu’il devrait être, se montrant par moment longuet. Et c’est vraiment dommage…


Car mis à part cela, le film est bon. Même très bon ! Mais pas suffisant pour aller au-delà de son score honorable au box-office mondial pour un tel titre (près de 40 millions de dollars pour un budget de 11 millions). Pour permettre au réalisateur/scénariste de partager sa rage envers le sort réservé aux Amérindiens et la tenue de ce soi-disant monde civilisé dont il fait partie. Wind River, c’est un cri d’alerte, une alarme… qui résonne le temps d’un exercice. Sur le moment, on y prête attention. On emmagasine ce que le signal veut nous dire. Mais cela ne va pas plus loin que les personnes ayant entendu le message. Après, c’est également à nous, spectateur, de divulguer l’information en conseillant de voir ce film. Afin de lui permettre d'avoir une seconde chance de réveiller les esprits (oui, je me doute que j’ai répété cette formule tout au long de la critique, mais j’y tiens !). Mais bon, c’est beau de rêver…

sebastiendecocq
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Les meilleurs films avec Jeremy Renner, Les meilleurs films de 2017, Les meilleurs films avec Jon Bernthal et Les meilleurs films avec Elizabeth Olsen

Créée

le 16 oct. 2017

Critique lue 374 fois

2 j'aime

Critique lue 374 fois

2

D'autres avis sur Wind River

Wind River
guyness
8

Sortir de sa réserve

Le film s'approchant de son terme, la petite angoisse. Pourvu que que son dénouement ne trahisse pas ce que ce faux polar était jusque là, avec un suspens inutile ou un final en face-à-face convenu...

le 3 sept. 2017

100 j'aime

8

Wind River
Sergent_Pepper
5

Le talion noir

C’est peu de dire que Taylor Sheridan était attendu pour son premier passage derrière la caméra. Devenu scénariste star suite aux cartons de Sicario et Comancheria, il était évident qu’il finirait...

le 30 août 2017

73 j'aime

11

Wind River
Vincent-Ruozzi
8

Taches rouges sur fond blanc

Certains paysages américains sont devenus des décors incontournables du cinéma. On pourrait citer les étendues désertiques du Texas et du Nouveau-Mexique ou les bayous infranchissables de la...

le 9 déc. 2017

54 j'aime

6

Du même critique

Batman v Superman : L'Aube de la Justice
sebastiendecocq
8

Un coup dans l'eau pour la future Justice League

L’un des films (si ce n’est pas LE film) les plus attendus de l’année. Le blockbuster autour duquel il y a eu depuis plusieurs mois un engouement si énormissime que l’on n’arrêtait pas d’en entendre...

le 28 mars 2016

33 j'aime

1

Passengers
sebastiendecocq
5

Une rafraîchissante romance spatiale qui part à la dérive

Pour son premier long-métrage en langue anglophone (Imitation Game), Morten Tyldum était entré par la grande porte. Et pour cause, le cinéaste norvégien a su se faire remarquer par les studios...

le 29 déc. 2016

29 j'aime

La Fille du train
sebastiendecocq
4

Un sous-Gone Girl, faiblard et tape-à-l'oeil

L’adaptation du best-seller de Paula Hawkins, La fille du train, joue de malchance. En effet, le film sort en même temps qu’Inferno (à quelques jours d’intervalles), un « Da Vinci Code 3 » qui attire...

le 28 oct. 2016

28 j'aime

4