Le métier de pisteur en montagne requiert une connaissance subtile et approfondie de son milieu. De la plus haute crête aux basses plaines enneigées, Il doit en connaître chaque recoin afin de bien le baliser. L'étendue du domaine délimite sa surface de travail; les différents éléments répertoriés sont les sujets de son attentive observation.


On pourrait imaginer que le réalisateur Taylor Sheridan, par l'intermédiaire de son héros, Corry, pisteur dans la réserve naturelle de Wind River, symbolise ce projet -d'authentique auteur désormais, puisqu'on peut maintenant dégager chez lui une thématique propre- qui est le sien depuis plusieurs films. D'abord comme scénariste et maintenant comme réalisateur, il s'attelle à déclouer la façade, certes déjà bien branlante, d'une Amérique du 21ème siècle. Une Amérique paumée, désertée des structures publiques, où même les enseignes et les marques, bénéficiaires d'un "American dream" jadis tonitrué partout sur le globe, ne semblent plus croire au potentiel mercantile d'un terrain trop bafoué par les vents sauvages. Elles ont émigré ailleurs, permettant la croissance toujours plus exponentielle des zones urbaines, effervescentes, préservées des climats difficiles où matraquage publicitaire, espaces de loisir et banques d'argents se développent confortablement. La mondialisation a tarit les sources naturelles des champs pour remplir les grands réservoirs des villes.


Ces lieux perdus et isolés sont l'objet de l'exploration de Taylor Sheridan. Lorsque beaucoup de réalisateurs racontent les sociétés des mégapoles, lui décide de passer outre la frontière et d'ausculter la vie au bord des limites du territoire américain.


Dans Sicario et Hell or High Water, le désert était son terrain de chasse. Le polar, déjà, la forme de son investigation. Il réplique la formule dans Wind River avec pour ancrage cette fois, les montagnes rocheuses américaines. Au fin fond du Wyoming, dans une réserve partagée par différentes tribus amérindiennes, il met en scène une sombre histoire de meurtre. Le cheminement de l'enquête, somme toute assez classique, va permettre à Taylor Sheridan de montrer à diverses occasions le délabrement social de cette région. Un omniprésent état de mort plonge chaque habitant dans une sorte de torpeur, renforcée par le froid glacial de la montagne. Ils ne peuvent rien ou pas grand chose. Certains s'en accommodent, avec cette sorte de fatalité guillerette propre aux gens des pays inhospitaliers, mais beaucoup semblent léthargiques dans l'ombre des glaciers, comme prisonniers par le froid et la résignation. La pauvreté, le chômage de masse, l'alcoolisme et l'asthénie morale  étreignent tout dans la réserve de Wind River. Un jeune agent du FBI, arrivée pour poursuivre l'enquête dans la réserve, le découvrira à ses dépends. Naïve mais néanmoins volontaire, elle  ne pourra que composer avec le faible écoulement de la vie là-bas.


Le film avance au rythme d'un épisode lambda d'une série policière, lui reprochera-t-on d'ailleurs ce coté trop rebattu dans la traque. Son final, explosif, contrebalance cette première moitié engourdie. Mais aussi furieux soit ce final, il ne peux qu'appuyer le monolithisme des bad guys. Dommage, mais là n'est pas le propos...


Tout Le dessein de Taylor Sheridan dans Wind River trouve sa plus parfaite illustration lors du plan final. Impeccable de mise en scène, il séquestre comme ses personnages dans l'image. Assis, en arrière-plan, le regard porté sur un horizon bouché, le cœur lourd et l'espoir mince, les deux héros semblent figés malgré la rédemption possible. Ils sont comme une simple composante de cette scène, un background. Car la focale est dirigée sur le centre du plan, deux balançoires vides, fouettées par le vent, dodelinent. C'est l'absence. Dans le silence. 


Via son œuvre, Taylor Sheridan quête le désœuvrement en Amérique, À défaut de l'élucider, il le repère finement, comme un pisteur au détour d'un virage remarque l'anomalie du terrain. Gageons qu'après la poussière de l'ouest et la neige des montagnes, il dénichera un autre domaine isolé où des Hommes meurent sans bruit. 

Liverbird
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le 2 déc. 2017

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Liverbird

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