Dans une nuit souterraine, Hlynur Palmason imagine le chaos primordial. Soudain, la lumière est - fragile corolle blanche. D'autres sources lumineuses oscillent çà et là. La vie danse - malhabile - dans la nuit profonde. Des casques, des visages apparaissent à la lumière de lampes frontales. Adam et ses compagnons piochent le sous-sol, condamnés à travailler à la sueur de leurs fronts. Coups de pics dans la roche, coups de pelles, déchiquetage des blocs de calcaire dans la broyeuse... Ces bruits pénibles et une bande son discordante accentuent la sensation d'épuisement. Les visages grisâtres, creusés par le labeur, dégoulinent. Enfin une sirène hurlante et lumineuse délivre les mineurs.


Le plasticien H. Palmason propose un premier film austère. Adam s'appelle Emil. Jeune ouvrier amoureux d'Anna, il vend de l'alcool frelaté à ses collègues. Son frère Carl l'aide de son mieux, notamment à voler des produits de l'usine. Mais leur relation se dégrade quand Anna choisit Carl pour amant. De plus, le patron d'Emil le convoque... Plusieurs fils narratifs restent en suspens : Emil sera-t-il renvoyé de l'usine ? Pourquoi insister autant sur l'armée et la vidéo militaire ?


Les instincts primaires prédominent : besoin d'amour et de sexe d'Emil, sa cupidité, ses pulsions de violence et de vengeance. Un naturalisme pesant conditionne les personnages. Privé de père, Emil se venge : il vend de l'alcool trafiqué, vole des produits interdits, manie en expert un fusil d'assaut... Et la bagarre remplace les mots : Emil et Carl se battent nus, tels des frères ennemis bibliques. L'intérieur des maisons, à l'image de l'usine, est frappé de laideur, de froideur et de délabrement.


Comment le cinéaste tente-t-il de sortir de l'impasse naturaliste ?
Par un film expérimental qui travaille images et sons comme des matériaux expressifs. Il réinvente un cinéma en noir et blanc. Les contrastes entre le noir (noirceur de la carrière, des conifères) et le blanc (lumière des lampes, blancheur de la neige) marquent de nombreuses scènes. S'y mêlent les gris des visages crayeux des mineurs et de leurs combinaisons... Noir, blanc et gris, voilà la palette expressionniste de "Winter Brothers".


L'expressionnisme de la bande son surprend. La séquence dans la carrière est hérissée de sons stridents et inquiétants. A la longue, cette volonté d'emprise sonore lasse... On étouffe, cela frise la flagellation masochiste. Mais j'apprécie la métaphore de l'homme, façonné dans de l'argile. Voué au travail, Adam est expulsé dans un monde hostile de bruit et de fureur. Et quelques scènes savoureuses permettent de respirer brièvement hors des souterrains physiques et mentaux. Quand Emil cherche à séduire Anna par ses tours de magie, je sourie. Et l'histoire du chien fidèle irise d'absurdité cocasse la douleur d'un être en deuil.

lionelbonhouvrier
6

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le 8 févr. 2018

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