La simplicité peut parfois faire des merveilles, et ce n'est pas le scénario de Winter Sleep qui nous contredira. Les deux lignes du résumé proposé sur la fiche du film suffise à résumer grossièrement l'histoire du film, si histoire il y a vraiment. Car plus que proposer une intrigue, le film de Ceylan nous invite à étudier les caractères, les évolutions, les réflexions et les interactions sociales de personnages en pleine remise en question. Tous ont leurs certitudes, mais tous s'interrogent pourtant.

On se croirait vraiment par instant dans un roman de Dostoïevski tant le réalisateur interroge la conscience, fait dialoguer longuement ses personnages autour de la notion du Bien et du Mal, de l'existence de Dieu et de la place de la religion. Pour être plus précis, étant en train de relire Les frères Karamazov du célèbre auteur russe j'y ai trouvé quelques similitudes ; ainsi les trois personnages principaux appartenant à la même famille (un homme, sa sœur et sa femme) peuvent rappeler les trois frères du roman, tant ils sont différents dans leur vision de la vie, mais aussi dans leur manière d'échanger. Certaines séquences semblent même faire directement référence au récit du génial Fédor comme le passage où la femme du gérant d'hôtel amène de l'argent à une famille en difficulté et que l'un des membres se sent insulté, faisant écho au refus du capitaine en retraite d'accepter l'argent que lui amène Aliocha dans le roman (avant d'accepter finalement). On retrouve la même violence froide du refus symbolisant la manifestation d'un orgueil blessé.

Au-delà de ces considérations personnelles ayant tout lieu d'interprétations, on soulignera que le long-métrage du réalisateur turc est une merveille aux images frappantes, à la musique cohérente et discrète, qui s'étale sur plus de trois heures sans que jamais l'on souhaite que cela s'arrête. On le disait la longueur des dialogues est étonnante mais ces derniers sont toujours passionnants tant dans leur propos que dans la forme (grâce à une interprétation très juste). Si au départ le personnage du gérant semble être un modèle de rationalité, d'intelligence, de calme pour les autres, on s'aperçoit vite qu'il a nombre de défauts et qu'il a tendance à écraser les autres pour asseoir son importance. L'épaisseur des personnages progresse au fil du récit et le film se termine en nous laissant le cerveau bouillonnant d'idées et de réflexions.

Winter Sleep est un film qui fait en effet réfléchir, intellectuel dans sa démarche mais sans tomber dans les effets pervers d'un tel choix ; il n'est pas inabordable, pas donneur de leçons et semble suivre encore une fois la trace des romans russes du 19e siècle dans leur étude profonde et pourtant simple de l'humain en tant qu'individu. L'âme, la conscience, la culpabilité, les tourments, l'orgueil, l'amour, la Foi... bref tout ces questionnements intérieurs qui nous bouleversent au cours de notre vie.
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le 30 janv. 2015

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