Passé sous silence lors de la récente cérémonie des Oscars, Winter's Bone était pourtant incontestablement l'un (voire le) des meilleurs films de la compétition. Le long-métrage de Debra Granik est un western glacial et sec où la dureté de la vie n'a d'égal que la nudité des paysages.
Dans l'Amérique profonde, Ree élève son petit frère et sa petite soeur tout en s'occupant de sa mère catatonique. Cette situation à fort potentiel pathétique tire-larmes est désamorcée par une écriture intelligente et par la performance implacable de la jeune Jennifer Lawrence, 20 ans.


C'est le son d'un banjo et d'une voix rocailleuse et tendre qui ouvre le film. Des enfants sautent sur un trampoline devant une maison brinquebalante perdue dans un paysage dévasté par une nature ingrate. Ree élève son frère et sa sœur comme si la vie en dépendait, on l'apprendra plus tard elle a 17 ans. Sa blondeur et ses traits fins nous trompent d'abord : elle a un caractère bien trempé mais rien ne laisse présager du courage inouï dont elle va faire preuve pour retrouver son père. Ree, avec une persévérance édifiante, va frapper à la porte de tous ses voisins – qui se trouvent être plus ou moins tous de sa famille – pour retrouver Jessup, son père, qui deale de la méthamphétamine et doit comparaître sous peu à un procès.

Sur cette trame simple mais solide, Debra Granik construit patiemment une atmosphère étouffante où les rednecks américains sont également portés aux nues et acerbement dépeints. L'oncle de Ree, Teardrop (formidable John Hawkes, familier aux spectateurs de l'extraordinaire série de HBO, Deadwood) sera son seul allié le long d'un chemin de croix intense qui, sans les artifices couramment liés aux genres, sonne plus vrai que nature, imprégnant durablement le spectateur d'un vague-à-l'âme profond, révélateur de la puissance souterraine du long-métrage.


Il y a aussi une mesure essentielle de la distance incommensurable entre ce que l'on devine et ce qui est montré, comme si les rouages de la quête de Ree sous-tendaient le film, lui étaient intérieurs. Car ce que l'on voit n'est exceptionnel que dans sa globalité tant les séquences, en se juxtaposant, s'amplifient graduellement... jusqu'à une scène – presque insoutenable – dans un marais glacial, de nuit, où le bruit insupportable d'une tronçonneuse nous dissimule l'obscène. L'humanité est rare donc chère dans ce que décrie le film, la compassion, l'empathie ou l'amour sont des faiblesses fatales. Alors la grâce gagne le film, entraînant une fin ouverte où quelques notes pincées sur le banjo de la réminiscence font naître l'invisible pour mieux comprendre l'indicible. L'injustice de la vie est alors dissoute dans la réponse inexpugnable d'une jeune fille de 17 ans.
Meo
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le 25 mars 2011

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