Comme le disait Franck Ribéry, penseur footballistique du début du siècle, aujourd’hui tombé dans l’oubli, "j’espère que la routourne va vite tourner pour lui" *. Parce que je l’aime bien moi, Woody Allen et j’aimerais bien qu’il retourne de bons films. Ce Wonder Wheel n’en est malheureusement pas un et j’espère que la roue de l’infortune qui concerne son auteur, va finir par marquer des buts ;-)


Triangle amoureux sous fond de nostalgie amère dans le Coney Island des années 50, le dernier Woody Allen n’atteint pas, c’est le moins que l’on puisse dire, les sommets qu’il a naguère tutoyé. Hélas, comme c’était déjà le cas dans ses précédentes livraisons, Woody survole son sujet façon carte postale mélancolique et s’amuse cette fois avec son directeur de la photo à nous en faire voir de toutes les couleurs. Les lumières orangées ou bleutées sont malheureusement trop voyantes et redondantes et nuisent à l’empathie du spectateur pour les personnages et à son immersion dans l’univers du film. Tout fait faux, les éclairages, les décors, l’utilisation de la musique et même le jeu des comédiens qui surjouent parfois, si bien qu’on finit par ne plus trop s’intéresser à leur sort.
C'est fait exprès me direz-vous, une mise en abîme du réalisateur qui nous dit que tout ça c'est du cinéma ou du théâtre en train de se faire et que la vraie vie c'est autre chose ? Oui bon, d'accord, mais dans ce cas là... euh non, rien, joker, je préfère ne rien dire qui outrepasserait ma pensée. ;-)


Le sujet fait penser à une pièce de Tennessee Williams, mais l’intensité dramatique en moins. Là, même si on sent de l’amertume et de la noirceur chez Woody Allen, ce qui donne un peu d’épaisseur au propos, le traitement qu’il en fait ne nous incite pas à nous émouvoir et le coté factice de l’ensemble nous empêche de quitter la surface pour atteindre la profondeur des êtres qui s’ébattent devant nous.


Pourtant le personnage de Ginny interprété par Kate Winslet n’est pas inintéressant, mais cette femme déchue, quadragénaire, qui aurait bien aimé être une actrice de théâtre, qui a gâché son premier mariage pour se retrouver serveuse de restaurant à Coney Island, remariée à un forain alcoolique, au grand cœur certes, mais pas très glamour et qui rêve de refaire sa vie avec un jeune sauveteur de plage, apprenti romancier, manque de consistance. En vérité, malgré le talent de l’actrice, son personnage est trop théâtral pour exister vraiment et pas suffisamment poignant pour émouvoir. Il me fait un peu penser à Blanche dans Un tramway nommé désir, mais la fêlure et la délicatesse en moins. Ginny paraît plus forte que Blanche, elle est juste une femme mûre rêvant d'une autre vie, souhaitant se recaser, mais qui se fait griller la politesse par une plus jeune.
C’est plus prosaïque et plus courant, c’est hélas assez peu touchant, à cause entre autres, de ces maudits filtres orange qui rendent tout tellement artificiel !


Les autres personnages ne sont pas plus troublants, car trop caricaturaux, même si James Belushi et Juno Temple ne s’en sortent pas trop mal. Celui qui m’a le moins convaincu est interprété par un Justin Timberlake plutôt fade, à la fois jeune premier et narrateur, se faisant la voix de l’auteur, osant les regards caméra et interpellations directes du spectateur, habituels chez le réalisateur, mais qui ici n’apportent pas grand chose, sinon plus de distance. Dans Annie Hall, quand Woody parlait face caméra, c’était innovant, drôle et créait de la connivence avec le personnage; là… pas vraiment.


Ceci dit, le film n’est pas désagréable à regarder, avec sa photo bien léchée, sa caméra fluide et sa luxueuse reconstitution d’époque, agrémentée par un bon jazz old school. Personnellement, je regrette néanmoins qu’Allen ait troqué son truculent humour pour un cynisme aigre doux et que son dernier film, comme les précédents de ces dernières années, ne routournent plus comme avant comme quand c’était le bon temps.
Ah voilà ti pas que je me mets à parler comme un vieux con nostalgique ressassant son "c'était mieux avant" ! Et il paraît que ces choses là ne s’arrangent généralement pas avec le temps ! Tout foulcamp à ce qu’il paraît ! Aïe, aïe, aïe, maintenant j’ai l’impression que c’est ma tête qui ne routourne plus rond… où sont mes pilules et ma camomille avant que je file au lit ? ;-)


Roinron
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le 6 févr. 2018

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