Après Man of Steel et Batman v Superman, j’estimais que la saga DC au cinéma était foutue. DC se fondant en général sur les grandes idées philosophiques que véhiculent ses histoires, et les deux premiers opus ayant instauré que la grande idée philosophique que véhiculera l’univers est que Dieu est grand, Dieu est puissant, Dieu définit le bien et le mal, Dieu décide que les Kryptoniens ne méritent pas de vivre, donc c’est un crime de vouloir les sauver, Dieu n’a pas à répondre aux accusations quand le monde entier le soupçonne d’avoir été responsable de la mort de centaines de personnes, ni même à être troublé par le fait qu’on l’en accuse, plus rien de satisfaisant, à mon sens, n’aurait pu pousser sur cette base. A la rigueur, on pouvait avoir des films un peu moins lourds, qui auraient passé moins de temps à souligner des symboles évidents n’ayant pas besoin d’être soulignés, des opus un peu bêbêtes mais distrayants comme Suicide Squad qui, sans surprise, était complètement out of character par rapport aux comics, mais avait au moins l’avantage d’être un film normal, de ne pas asséner des contre-valeurs à coup de bulldozer dans ta gueule, et de plans interminablement longs. Mais un bon film, sans lourdeurs ni omissions, avec des personnages principaux se battant par altruisme et par foi en l’humanité, se souciant des dommages collatéraux et de la santé des figurants, et se posant sincèrement la question de si voler, tuer, tricher et piller, c’est pardonnable quand c’est pour une bonne cause, je ne pensais vraiment pas que ça pourrait exister. Pas sans avoir l’air incongru et contradictoire avec le début de la série.


Pourtant, le fait est là, Wonder Woman réussit. Enfin, plus exactement, elle réussit à faire oublier que toutes ces valeurs que le film pose comme étant la base philosophique que l’histoire va véhiculer ne sont pas celles qu’avaient véhiculé les épisodes précédents. Quand on y réfléchit, c’est bel et bien incongru par rapport aux premiers opus, à condition qu’on repense aux premiers opus, et vu ce qu’ils sont, on n’a pas spécialement envie d’y repenser.  Wonder Woman continue à parler de Dieu grand et puissant, mais établit enfin que ce n’est pas parce que Dieu a décidé que les kryptoniens ne méritaient pas de vivre qu’il faut l’écouter, que même si Arès a raison quand il dit que les humains polluent et tuent la terre qui les a fait naître, ce n’est pas une raison pour laquelle il faut le laisser les détruire. Voilà enfin une idée à laquelle je peux adhérer. Quel soulagement ! Et ce n’est pas le seul.


L’autre soulagement, c’est de constater que ce film est ce que n’était pas ses deux ainés : subtil. Pas de lourdeur pour montrer les horreurs de la guerre. Pas de lourdeur non plus pour montrer l’injustice de la société humaine, en particulier pour ce qui concerne le statut des femmes en 1918. Les choses sont montrées, sans être atténuées. Et c’est tout. On ne passera pas deux heures à insister sur le fait que la procureure est perturbée, comme dans Batman v Superman. On montrera les soldats blessés qui reviennent du front, les réfugiés chassés de leur village, et l’attitude outrée des vieux grigous quand ils rencontrent une femme qui ose prendre la parole pour les contredire. Rien de plus, rien de moins, rien que ce qu’il faut pour montrer et faire comprendre. Il y a, certes, un dernier quart d’heure un peu plus faiblard, avec plus de temps qu’il n’en faut passé sur des choses qui n’en avaient pas besoin, et pas assez sur les points qui mériteraient d’être explicites, mais ce n’est vraiment que dans le dernier quart d’heure. Le reste du temps, tout ce qui a besoin d’être expliqué est expliqué, et on ne l’explique pas plus que ça n’a besoin d’être expliqué. On en avait presque oublié que c’est ça, la bonne façon de raconter une histoire.


Ceci étant posé, que reste-t-il ? Wonder Woman est-il un bon film, indépendamment d’être le meilleur de la série, ce qui n’est pas bien difficile ?
En réalité, je ne peux pas répondre. Ce film me parle particulièrement, à moi personnellement, et ça ne me permet pas d’évaluer sa valeur objective. Il n’est, certes, pas très respectueux de la mythologie grecque ni de la réalité historique, mais les sujets qu’il aborde sont des sujets qui me parlent, les idées qu’il défend correspondent à mes idées, et les personnages qu’il met en scène me plaisent.


Déjà Steve Trevor, l’homme sans super-pouvoir qui en deux heures et demie de film a été plus héroïque que Superman dans ses deux films réunis. Si le long métrage animé DCUAOM Wonder Woman m’a tant déplu, c’est surtout à cause du personnage de Steve Trevor. Un message pour tous les scénaristes du monde : la recette du Love Interest stupide, c’est insupportable, même quand le love Interest est un garçon et pas une fille. Si on campe un personnage principal bourré de mérites, la personne qui a le privilège d’être aimée par ce personnage principal doit être bourrée de mérite aussi, sinon, il y a un sentiment d’injustice qui gâche complètement le plaisir du visionnage. Et du mérite, le Steve Trevor de ce film en a à revendre. Il se définit lui-même comme ayant une morale à géométrie variable, n’hésitant pas à mentir, à voler, et à escroquer pour parvenir à ses fins. Mais ses fins sont uniquement d’empêcher des civils innocents d’être tués. La comparaison avec Batman, qui marque ses ennemis au fer rouge afin qu’ils soient exécutés en prison, et Superman, qui détruit des immeubles sans se soucier des dommages collatéraux et ne comprend pas en quoi il est concerné par le fait qu’on le déteste à cause de ça suffit à faire de lui un vrai héros. Mais le film ne se contente pas de ça. Le film lui donne la force morale qu’il faut pour reconnaître qu’il est un voleur, un tricheur et un menteur, quelle qu’en soit la raison. Et plus encore, mais avant de développer, parlons de Wonder Woman elle-même, ou plus exactement Diana, puisque, sans surprise, personne ne l’appelle jamais Wonder Woman dans le film (ils auraient dû titrer le film Spirit of Truth comme ils avaient titré le film Superman Man of Steel).


Diana est l’archétype de l’adolescente pleine de grandes idées qui vaut à Antigone d’être la pièce la plus choisie pour les scènes d’examen de fin d’année en théâtre. Son âge n’est pas explicitement dit, et elle a probablement des milliers d’années, sa nature d’immortelle faisant que le passage du temps est particulier chez elle, mais en tout cas, au moment où son aventure commence, elle est encore une apprentie guerrière et n’a pas fini son entrainement. Elevée dans une ile coupée du monde et du temps, elle a entendu dire par sa mère que l’humanité était bonne par nature, que tout ce que les hommes ont pu faire de mal dans leur existence, ils l’ont fait parce qu’ils ont été possédés par Arès, le dieu de la guerre. Et elle l’a cru.


Diana, apprenant l’existence de la première guerre mondiale, de son exceptionnelle violence, et de la nature irraisonnée du conflit quitte son île en étant persuadée que, si les hommes font la guerre, c’est parce qu’ils sont possédés par Arès, et que si on supprime Arès, on supprime la guerre. Spoiler, Arès ne fait que leur souffler des idées pour inventer des armes toujours plus destructrices. La guerre, ils la font parce qu’ils le veulent. Diana va au devant d’une grande désillusion, cette désillusion dont elle parlait à Bruce Wayne dans Batman v Superman. Le public le sait, Steve Trevor le sait, Hippolyte, sa mère, le sait, bref, c’est ça le film. Diana croit qu’Arès provoque les guerres et elle va découvrir que ce n’est pas vrai. Si j’en crois pas mal de critiques lues et entendues depuis la sortie de ce film, beaucoup trouvent les gags autour de sa naïveté face au monde des humains lourds et sans intérêt. Le souci, c’est qu’en réalité, ce ne sont pas des gags, et leur intérêt n’est pas d’être des gags. Au contraire, ce sont des éléments de tragédie. La naïveté de Diana n’est pas due à son ignorance du monde. Certes, elle ne sait pas grand-chose du monde, au moment où elle débarque dans le Londres pollué d’après la révolution industrielle, mais il faut bien reconnaître que ces nouveautés ne l’impressionnent pas plus que ça. C’est tout au plus si elle se permet quelques remarques sur le fait que l’homme moderne vit dans la course contre la montre, ou qu’elle s’extasie quand elle rencontre le premier bébé qu’elle ait jamais vu. Le fait de se retrouver confrontée à des spécimens mâles de l’humanité ne l’étonne pas particulièrement non plus. Elle a lu ses classiques, et en théorie, elle sait la différence entre les hommes et les femmes, ce qu’ils font ensemble et pourquoi. Sa naïveté se manifeste plutôt dans le fait qu’elle s’accroche, malgré toutes les preuves, à l’idée que l’être humain est forcément bon par nature et que c’est Arès qui le pervertit. A l’instar de l’Antigone d’Anouilh, son histoire va être celle de quelqu’un qui découvre que le monde et l’humanité sont plus compliqués que ça et doit décider, au vu de cette découverte, si elle reste fidèle à ses valeurs quand même. Et, pour l’accompagner dans ce parcours, il y a Steve Trevor. Steve Trevor qui est à ce point désillusionné sur l’humanité qu’il choisit de tuer, de voler et d’escroquer pour sauver le monde, mais qui, tout en étant désillusionné, choisit quand même de sauver le monde. Steve Trevor, l’homme sans pouvoir, qui, par son exemple, va inspirer la déesse à devenir le symbole de compassion et d’humilité qu’est son personnage dans les comics. Quelle belle revanche contre le Superman de Zack Snyder !


J’ai aimé Antigone d’Anouilh, donc, seule une mauvaise mise en scène pouvait me faire détester cette histoire. Or, comme j’ai dit, à part le dernier quart d’heure, la mise en scène m’a convenu. J’ai aimé les dialogues, j’ai aimé l’image, j’ai aimé les scènes d’action, et j’ai même aimé les scènes qui sont clairement là pour faire écho à Captain America : First Avenger. Ce film était écrit pour moi. Et pourtant, il fait suite à Batman v Superman. Reste plus qu’à espérer que La ligue des Justiciers ne réduira pas à néant ce changement de direction.

tchoucky
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le 10 juin 2017

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