♫ On t'invite à la magie, y a pas de raccourci, oublie tes soucis et viens faire la folie ♫

L'insuccès de Justice League en 2017 a été retentissant. Pas seulement parce qu'il a été un échec critique et financier désastreux, mais parce qu'il a été la catastrophe redoutée par tout représentant majeur de l'industrie dans le domaine des superproductions. Le genre capable de saper la confiance du public d'une saga aussi attendue, y compris les fans inconditionnels.


Promettant d'avoir appris de cette erreur, les studios Warner Bros. pensent faire leur Mea Culpa en coupant tout lien qui connecterait leurs prochains films afin de laisser une liberté de création quasi-totale à leurs réalisateurs les plus méritants. L'objectif n'est plus de construire un univers cohérent mais d'exploiter les bases existantes pour sortir des œuvres qui se vendront en premier lieu sur leur qualité et les noms de leurs auteurs.
Cette nouvelle stratégie serait tout à fait louable si elle n'était pas bâtie sur des fondations gangrenées empoisonnant d'entrée de jeu chaque décision prise pour façonner le futur de l'univers DC, bonne ou mauvaise. La carte blanche donnée aux réalisateurs est alors toute relative, celle-ci leur promettant une liberté d'action qu'ils ne pourront jamais exploiter comme ils le devraient puisque leurs films sont contraints de faire partie de la saga initiée par Zack Snyder. Le rebooter aurait permis de repartir sur des bases saines, quitte à lâcher les têtes d'affiches qui ont d'ores et déjà imposé leur marque dans l'inconscient collectif. Et si cela n'aurait pas rendu Wonder Woman 1984 meilleur, cela nous aurait au moins permis de nous immerger loin de toutes les questions que nous nous posons pendant 2h30.


Cette contrainte n'arrêtera pas - et c'est le cas de le dire - Patty Jenkins. Bénéficiant depuis lors d'une aura de sauveuse lui conférant la confiance des investisseurs qui lui faisait défaut en 2017 et qui, selon elle, aurait gâché le dernier acte de son premier film. La réalisatrice dispose maintenant de toute la latitude nécessaire pour mettre en scène la suite des aventures de l'amazone. Surtout pour le pire, en tout cas pas pour le meilleur.


Le film délivrera à la fois le pire et le meilleur de toutes les promesses de Jenkins à travers son introduction à Themyscira en pleine compétition sportive. Réamorçant l'identification avec la version enfant de l'héroïne (d'ailleurs trop jeune par rapport à sa version de 2017 censée avoir l'autorisation de commencer sa formation martiale durant son adolescence), lui faisant passer une épreuve tant physique que morale, la valorisant sur l'étonnante avance qu'elle a sur ses adversaires plus âgées et expérimentées pour se conclure sur l'imposition d'un échec mérité à la place d'une victoire facile.
Ce qui aurait pu être un agréable retour au foyer doublé d'un amorçage thématique judicieux devient sous la direction de la réalisatrice une interminable séquence s'achevant sur une morale récitée d'une façon tellement primaire qu'on la croirait sorti d'un dessin-animé pour enfants en bas-âge. Le final essayera de créer un rappel avec la leçon apprise mais celle-ci est tellement simpliste et vague par rapport aux quelques débats moraux abordés qu'elle aurait pu être introduite d'une bien meilleure manière, voire ne pas être introduite du tout. Cela aurait économisé du temps et surtout des moyens qui auraient pu être employés autrement. Cette séquence sera le mantra dans lequel le film s'enfoncera toujours plus, inexorablement: Beaucoup investi pour peu de choses.


Alors qu'elle avait aussi pour objectif de rendre la transition plus douce vers une toute nouvelle époque où devra évoluer Diana en nous ramenant sur l'ile qui l'a vu grandir, cette introduction n'aura au final pour effet que de renforcer le contraste avec le premier film. Et elle est cinglante. Si il n'y a rien de surprenant de voir un nouveau produit exploiter une période fantasmée comme l'ont fait les studios ces dernières années malgré le ras-le-bol du public de voir leur nostalgie être utilisée comme une pancarte publicitaire, il est en revanche affligeant de voir comment Jenkins a choisi de la représenter à l'écran. On ne pourra pas lui retirer le panache avec lequel elle pousse la caricature des années 80 tant elle atteint des pics de ridicules qui ne seront pas sans rappeler les moments les plus nanardesques des Superman avec Christopher Reeve (ou des Batman de Schumacher). Que ce soit les plans choisis, le surjeu des figurants, la mise-en-scène des éléments magiques ou le comportement des personnages, Wonder Woman 1984 est juste embarrassant à regarder.
A peine peut-on dire que cette suite fait partie du même univers que son prédécesseur tant il n'y a aucune compatibilité entre le kitsch ultra coloré et l'ambiance sombre du premier film. Et quitte à réexploiter des clichés dépassés, le mieux à faire aurait été de l'assumer pleinement.


Nous sommes nombreux à nous être plaint de l'incrustation de l'humour dans le premier opus, mais force est de constater que sa faible proportion ne parasitait pas l'atmosphère de l'ensemble, tout le contraire de cette suite qui alterne les tons aux antipodes l'un de l'autre jusqu'à culminer vers une dernière demi-heure nous demandant de nous alarmer de la crise planétaire imminente au milieu d'une joute verbale entre l'héroïne et son adversaire s'échangeant des poncifs d'une niaiserie affolante (mention spéciale à la scène d'un fermier voulant rassembler ses vaches dans un Washington en pleine guerre civile). La dichotomie est trop visible, l'humour en devient déplacé, le drame ridicule, il n'y a aucune harmonie d'ensemble, la réalisation est en roue libre.


Patty Jenkins semble perdue devant toutes les possibilités qui s'offrent à elle. Promettant un film auto-contenu totalement indépendant des autres (promesse contredite par la seule présence de Chris Pine), libérée de toute obligation et armée d'un budget plus conséquent, la réalisatrice n'a plus aucune boussole sur laquelle s'appuyer pour apporter une vision claire, outre l'amusement de reproduire le doudou nostalgique d'une époque révolue. En résulte des personnages confus les trois quarts du temps et une tonne d'idées différentes n'ayant aucun lien les uns des autres, balancées à tour de bras sans préparation ni cohérence, ni garde-fou pour y mettre un veto, ne serait-ce que pour l'encourager à les développer plutôt qu'à les jeter à la face du spectateur (les pouvoirs d'invisibilité et de voltige de Diana qui, en plus de déclencher un soudain rire de gêne tant leur mise en scène est nanardesque, sortent complètement de nulle part).


Et au-delà de rater les scènes d'action, c'est surtout l'écriture qui est à jeter.
Plusieurs scènes auraient pu être coupées par paquets (à commencer par le détour au Caire qui accapare vingt minutes pour presque rien), plusieurs idées vont beaucoup trop loin (les vœux atteignent des proportions trop délirantes, même pour cet univers), d'autres sont sous-utilisées (la perte de pouvoirs de Diana est découverte trop tard et résolue trop tôt avant de pleinement exploiter cette faiblesse), voire ne servent strictement à rien (parmi elles, l'armure d'Astéria, qui a pourtant bénéficié d'une mise en avant dans la promotion et de deux scènes introductives mais qui n'aura même pas l'honneur d'être autre chose qu'un habillage, au potentiel graphique gâché par un combat final filmé dans une nuit dégueulasse et à l'utilité scénaristique proche du néant, notre héroïne ayant déjà conclu son parcours et résolu tous ses problèmes avant de le sortir de son placard on ne sait pourquoi. Triste pour une relique dont on nous a vendu l'importance historique). Trop long, boursouflée par une gestion hasardeuse de ses trop nombreux constituants, le scénario de Wonder Woman 1984 a tout d'un premier jet qui n'a pas été relu avant d'être approuvé.


Autre victime de ce carnage, la pauvre Cheetah dont la présence est forcée dans les multiples sous-intrigues sans que rien ne lui justifie une telle importance (ni un temps d'écran aussi conséquent). Le miroir avec l'héroïne aurait pu être intéressant si elle ne tournait pas en rond pendant deux heures avant que le scénario ne la rapatrie illico derrière le grand méchant, la faisant passer de personnage secondaire à une simple coche sur le cahier des charges pour justifier un final plus actif (comme si tous les climax de cette saga ne se ressemblaient pas déjà tous). On n'en dira pas autant de Maxwell Lord et ce, seulement pour l'interprétation (si on peut le qualifier ainsi) de Pedro Pascal. A défaut d'être charismatique, ce dernier se fiche du scénario et ne cherche qu'à divertir l'audience à travers un cabotinage absolument magique. Lourdeur ou fous rires, à vous de choisir.


Mais on touche vraiment aux conséquences de toutes les bévues quand elles concernent les deux héros. Steve Trevor qui est pourtant la raison pour laquelle ce film existe en devient même la plus grosse anomalie (amenant en plus de ça l'une des séquences les plus moralement dérangeantes de toute l'histoire des productions DC), le personnage n'apporte aucun élément supplémentaire et est toujours à côté de l'action dans un cadre qui l'ignore la moitié du temps. Le script tente de lui donner un semblant d'utilité pour ne pas le cantonner à son acte de présence mais les faits sont là, le pilote n'est qu'un boulet tout au long du film en attendant qu'on l'autorise (littéralement) à disparaître. Pile au moment où la faiblesse de sa bien-aimée pouvait devenir une excellente source de conflits, l'histoire en avait sérieusement besoin à cet instant précis (même le fait d'avoir volé le corps d'un innocent est purement ignoré alors qu'il pouvait devenir le centre du dilemme).


Confronter Diana au retour de son unique amour, s'y agripper de toutes ses forces puis la forcer à y renoncer au dernier moment était la voie qui pouvait donner une réelle valeur existentielle à cette suite. Nous n'attendions que Patty Jenkins et Geoff Johns poussent leur amazone à céder sous le poids de ses erreurs, d'accepter les leçons inculquées par sa famille sur la part sombre d'une humanité toujours envieuse et finalement découvrir qu'elle l'est tout autant, l'amenant à s'exiler.


C'est pourtant dans la direction opposée que le film se termine avec cette résolution tellement ridicule qu'on peine à croire qu'elle ait pu être validée telle quelle. Diana faisant un discours sur la beauté du monde et la nécessité de se contenter de ce que l'on a pour le bien commun. Toute l'humanité (dans sa totalité !) renonce à ses vœux et le monde est sauvé. Tout le monde est heureux et les bisounours se font des bisous.
Nous avons attendus 3 ans pour ça, voir Wonder Woman face caméra faire un discours sur l'amour et l'amitié. On en viendrait presque à chercher de toutes nos forces un message plus complexe qu'on aurait loupé derrière tous ces dialogues sur "la vérité" tant il est impensable qu'une production à 200 millions de dollars ait pu consciemment nous balancer au premier degré une morale pareille.


En guise d'épilogue, tout s'achève dans un marché de Noël (histoire de pousser la caricature mercantiliste des 80's jusqu'au bout). Tout est bien qui finit bien comme si rien ne s'était passé. La Terre a frôlée l'anéantissement, l'Humanité a été à deux doigts de subir l'holocauste nucléaire, l'ordre mondiale a été entièrement déstabilisé pendant plusieurs jours, un mariole a poussé les humains au vice avec des capacités qui dépassent largement la condition humaine, une femme a communiqué avec toutes les télés du monde, les gens ont vu la guerre se régler en renonçant à leur souhait le plus cher, aucun des deux méchants n'a été arrêté (ou pas, en tout cas je n'ai rien vu) et le film se termine là-dessus. Je vous jure que j'essaye, il faut absolument trouver un sens à tout ce délire ou aux intentions de Jenkins tant cette fin est effroyablement perturbante. Elle n'a aucune raison d'exister ou même d'être envisagée.


Un ratage. On se demande ce qui a pu se passer pour que le studio ait pu laisser passer autant d'erreurs, on se demande surtout qui ce film est censé satisfaire. Les fans du premier film ne retrouveront pas son ambiance, les fans de l'univers DC ne verront que son inutilité et ses incohérences en pagaille, ceux qui voudront retrouver les couleurs et l'optimisme des années 80 ne les retrouveront que par bribes et ceux qui se contenteraient au moins d'un blockbuster correct vont s'ennuyer devant ses longueurs. L'avenir nous dira si Wonder Woman 1984 n'aura été qu'une erreur de parcours pour Patty Jenkins, mais en attendant, Warner Bros. ne redorera pas son blason en confiant la liberté artistique à des réalisateurs qui n'ont aucune idée de la direction que doit prendre leur univers cinématographique.

Housecoat
4
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Rapports Films 2021

Créée

le 12 avr. 2021

Critique lue 2K fois

16 j'aime

3 commentaires

Housecoat

Écrit par

Critique lue 2K fois

16
3

D'autres avis sur Wonder Woman 1984

Wonder Woman 1984
Larrire_Cuisine
4

2020 n'aura décidément rien épargné au cinéma

DISCLAIMER : La note est une note "neutre" qui correspond à la moyenne (arrondie) de l’oeuvre au moment où on publie la critique. Seule la critique ci-dessous reflète donc notre avis. Notation : Feux...

le 28 déc. 2020

72 j'aime

2

Wonder Woman 1984
MalevolentReviews
3

Tant qu'il y aura des hommes

Toujours perdu dans une tourmente de décisions visuelles et scénaristiques, de décalages et de tonalités adéquates, DC Comics se fourvoie une nouvelle fois dans un total manque de cohésion et par...

le 26 déc. 2020

67 j'aime

6

Wonder Woman 1984
B_Jérémy
7

À quoi seriez-vous prêt à renoncer pour un souhait ?

Diana, écoute-moi. J'ai eu une très belle vie. Encore plus belle grâce à toi. Mais tu sais quoi faire. Le monde a besoin de toi. D'accord ? Je n'aimerai plus jamais. J'espère bien que si...

le 15 janv. 2021

57 j'aime

63

Du même critique

Jojo Rabbit
Housecoat
8

Papadolf le père

Préface Taïka Waititi est quelqu'un de très spécial. Un rigolard capable de faire semblant de dormir en public lorsque vient sa nomination aux Oscars. Un des rares réalisateurs actuels à avoir...

le 2 févr. 2020

85 j'aime

4

Avengers: Endgame
Housecoat
6

La fin du règne

(Cette critique contient des spoilers qui ne sont pas cachés. Vous êtes prévenus) Il aura fallu 11 ans pour Kevin Feige de construire, continuer et achever la vision qu'il avait mis au point pour les...

le 25 avr. 2019

61 j'aime

4