Quentin Dupieux, c’est le genre de type qui gère son cadre, assure la photo, fait le montage de ses films.
C’est le genre de type qui écrit et réalise encore des films faits pour le cinéma et se permet un doigt d’honneur à la TV, tournant des plans faits pour le grand format avec des comédiens en pied, des plans ou toute l’action se joue dans une minuscule portion de l’écran telle un rétroviseur ou par-dessus l’épaule d’un pompier qui occupe en gros plan flou les 3/4 de l'image.
Quentin Dupieux c’est le genre de type qui a l’œil, le sens du rythme, l’oreille musicale, l’intelligence sensible et l’exigence technique.

Pour toutes ces raisons et d’autres encore, j’irai voir chacun de ses films.
Et pourtant je suis aujourd'hui à nouveau floué par un homme orchestre particulièrement virtuose mais qui ne nous livre pas de symphonies à la hauteur...

Les qualités cinématographiques de « Wrong » sont indéniables dans le détail, mais absolument inutiles et fades au délà du seul plan ; finalement apparemment formaté pour être mis dans le teaser.
Saluons par exemple l’interprétation des comédiens, toujours parfaits, Jack Plotnick en tête, tout simplement fabuleux.
Chaque plan est millimétré, la profondeur de champ est d’une précision renversante ; l’étalonnage fin et cohérent, le montage au poil… Mais toute cette maîtrise et cette débauche d’effets de style, sous l’apparence de chercher la transgression ou la mise à mal du sens et de la narration dix-neuvièmiste, se résume malheureusement à une succession de situations poseuses.
C’est même pas « Wrong », juste un peu vain.

L’histoire, n’a aucune cohérence et, faisant mine d’accumuler les pistes de non-sens, va même jusqu’à décharger la puissance formelle de certains éléments : les dessins ésotériques, la photo du palm tree, l’accent français du jardinier hispanique…

Dommage, ce qui tenait l’excellent Steak, c’était justement le magnétisme et les échos d’une séquence à l’autre, d’un boulon à l’autre. Un savant mélange de gags absurdes et de comique filé qui permettait l’apparition de personnages extérieurs tout à fait naturellement.
Ici, on fait le jeu de la décohésion, du film machine mais moins comme un projet cinématographique que comme un Joker pour festival de cinéma indé. Chez Quentin Dupieux, le film ou la musique, c’est la mécanique qui rappelle à l’homme à la fois son absurdité et sa faiblesse (« Vous êtes des animaux. Vous allez Crever »).
Là était le pouvoir comique vieux comme Bergson : l’angoisse et le rire faisaient la force du film pop art qu’était Steak.
Avec « Wrong », les intonations musicale n'ont plus rien d'Argento (vous vous souvenez le zoom sur le visage de Ramzy ?) et surtout sont utilisés à tout bout de champ (hop panoramique sur la gamelle du chien, hop flouté sur le type à l'arrière plan...) et il faut vraiment être un poisson rouge pour continuer à ressentir un malaise.

Dans Rubber, le film faisait du non-sens tout en martelant à chaque demi-heure que ce que l’on voyait n’avait pas de sens (vous imaginez André Breton faire des notes de bas de page pour rappeler à son lecteur que ce qu’il lit est surréaliste ?). On avait l’impression, les premières séquences avec la naissance du pneu passées, que Rubber réinventait le caoutchouc.

Ici, plus rien, Quentin Dupieux nous semble parti bien loin et à part une séquence très surprenante et au faux-rythme parfaitement maîtrisé à la plage il ne nous restera pas grand-chose de cette séance de cinéma sinon des poches un peu plus vide et les rires solidaires et convenus d’une bande de hippster qui n’ont pas réussi à se gausser poussivement au-delà des 10 premières minutes.

Trop mécanique pour être personnel, trop maniéré pour éviter d'être nombriliste.
Un après midi au purgatoire.
Dlra_Haou
4
Écrit par

Créée

le 10 sept. 2012

Modifiée

le 22 sept. 2012

Critique lue 512 fois

2 j'aime

Martin ROMERIO

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