Il existe deux façon de clore une trilogie : on peut enfoncer le clou et rajouter une couche d'intensité à un deuxième volet qui est traditionnellement celui de la rupture, et c'est ce qu'ont fait Le Seigneur des Anneaux : Le Retour du Roi, Toy Story 3 et La Revanche des Sith pour ne citer qu'eux ; ou alors, on prend le parti inverse, c'est-à-dire celui de faire baisser la tension accumulée au cours des deux premiers opus sans pour autant dévier de l'objectif final. C'est plus risqué, plus délicat, mais Le Retour du Jedi, Star Trek IV : The Voyage Home et Thor : Ragnarok s'en sont acquittés à merveille. X-Men : L'Affrontement final essaie pour sa part de faire un peu des deux, n'arrive pas vraiment ni à l'un ni à l'autre, et c'est là son plus gros souci ; mais pas le seul, loin s'en faut...


La route paraissait pourtant toute tracée après un X2 particulièrement convaincant, lequel se terminait sur un plan prémonitoire, montrant l'ombre d'un phœnix se dessiner sur les eaux ayant englouti la malheureuse Jean Grey (Famke Janssen). Ce dernier épisode de la trilogie X-Men serait donc une adaptation de l'arc Dark Phoenix signé en 1980 par l'artiste John Byrne, l'un des runs les plus marquants de l'histoire du comics crée par Stan Lee et Jack Kirby. Revenue d'entre les morts comme son pseudonyme le suggérait, Jean Grey se retrouve dans une sorte d'enfance de la mutation, incapable de maîtriser ses immenses pouvoirs télékinétiques et constamment balancée entre son ancienne personnalité et un double maléfique et destructeur.


Le concept est effectivement alléchant, et il y a de quoi en faire tout un film à la maturité digne des deux premiers signés Bryan Singer ! Sauf que non, pour le producteur Tom Rothman, ce n'est pas assez, tout en étant justement "trop mature" (sic). Pour ne pas faire fuir le jeune public, on va donc y greffer maladroitement une autre intrigue, consistant en un sérum capable de guérir (ou supprimer) les mutations. Le débat qui s'ensuivit dura des mois, retarda considérablement la production, avant d'entraîner le départ de Bryan Singer (vers les cieux de DC Comics et de leur Superman Returns...), puis le recrutement de Matthew Vaughn, qui claqua bien vite la porte (mais il n'allait pas tarder à revenir...) pour céder sa place à Brett Ratner, réalisateur médiocre et sulfureux, mais plus malléable.


Cette crise d'identité se fait ressentir de la première à la dernière minute (et même au-delà) de X3. Le film démarre ainsi sous des auspices familiers : un enfant se cache de son père pour essayer de s'arracher, à coups de divers objets tranchants, les ailes d'anges qui lui poussent sur le dos. C'est une scène très traumatisante, qui n'est pas sans rappeler le baiser de Rogue au début d'X-Men, mais son impact est quasi-réduit à néant lorsqu'un montage frénétique nous fait basculer dans ce qui est clairement une séance d'entraînement des X-Men dans leur espèce d'holodeck local, bons mots à la clef. Cette alternance entre intrigue mature et humour bon-enfant est symptomatique de la bipolarité d'un scénario tricoté en catastrophe.


Tout aussi problématique, la mise en scènes de Brett Ratner, beaucoup moins élégante que celle de Singer. Tout est beaucoup plus bright, plus m'as-tu-vu, les effets numériques beaucoup plus abondants et évidents que dans X2, mais ce dont le tâcheron Rattner abuse le plus, ce sont les panoramas !!! Ils ont fini par me donner la nausée... au moins les séquences d'action sont-elles filmées de manière compétente, même si la bataille finale en fait des tonnes et qu'une meilleure version de "Wolverine lâché en pleine forêt" nous attend dans Logan... à noter enfin qu'X3 retombe dans un travers du premier chapitre, à savoir une bande-son très oubliable du compositeur John Powell, beaucoup trop enjouée et gamine.


Une autre plaie due aux errements scénaristiques d'X3 est l'accumulation de personnages. Le premier film était peu fourni en personnages, préférant la qualité à la quantité ; il avait perdu Sabretooth et Toad, mais X2 n'avait guère rajouté que Pyro, Nightcrawler et Lady Deathstrike. Le troisième opus fait fi de toute parcimonie, il nous balance des nouveaux mutants en-veux-tu-en-voilà, juste pour faire joli, en se préoccupant davantage de leur pouvoir que de leur personnalité. C'est ainsi qu'Angel (Ben Foster), malgré une introduction soignée, ne sert finalement pas à grand chose, pas plus que Kitty Pride (Ellen Page, insupportable) et toute la flopée de méchants mutants au service du pauvre Magneto, qui ressemblent plus à des punks tout droit sortis d'une rave-party qu'aux antagonistes intimidants de X-Men. Seul Hank McCoy (Kelsey Grammer), alias Beast,s'en sort mieux.


Pire : certains des personnages originaux sont sacrifiés sans aucun égard. Ainsi de Cyclops (James Marsden), tué hors-écran en début de film, de Mystique (Rebecca Romijn) rayée des cartes en cours de chemin ou de Rogue (Anna Paquin) réduit à l'inutilité la plus totale. Même Phoenix, censément le personnage central, passe le plus clair du film à se tenir les bras ballants, contemplant son monde avec mépris, pantin d'un plan sans queue ni tête : d'abord, pourquoi Magneto planque-t-il sa bande de pieds nickelés dans une forêt alors qu'il est capable de transformer le garage de l'oncle Dudulle en véritable forteresse ? Pourquoi sacrifie-t-il ses "pions" alors que l'essence-même de son personnage est de se soucier de ses frères mutants aux dépens des humains ? Comment n'a-t-il pu anticiper les armes en plastique des gardiens d'Alcatraz, lui qui en a été la victime dans X2 ? Et ainsi de suite...


Vous l'aurez compris, quasiment tous les personnages d'X3 sont lâchés par un scénario pour le moins bancal. Fort heureusement, plusieurs sont sauvés par leur interprète : aussi limité que soit Magneto dans ce film, Ian McKellen se donne à fond, certaines de ses répliques et expressions faciales constituant les temps forts du film. On peut en dire autant de Hugh Jackman et Patrick Stewart, toujours irréprochables. Halle Berry est curieusement moins horripilante que dans le film précédent, tandis que les vétérans Josef Sommer et Bill Duke illuminent les personnages humains.


Cela peut paraître peu, très peu, mais il faut croire que ce fut suffisant pour me divertir pendant 105 minutes. Je comprend la frustration des fans qui se sont sentis trahis par cet Affrontement final dont la dernière scène, pour ne rien dire de celle post-générique, laisse à penser que la Fox ne le voyait pas si final que cela, mais pour ma part je choisis de voir le verre à moitié-plein. Alors certes, je suis moins indulgent vis-à-vis du très similaire L'Ascension de Skywalker, mais au moins X3 n'aura-t-il pas dénaturé les deux films l'ayant précédé, ni vandalisé la personnalité de l'essentiel de ses protagonistes. Dommage, avec Singer à la barre nous aurions pu avoir une vraie trilogie aussi cohérente que jouissive, mais le seul crime de X-Men : L'Affrontement final reste selon moi la déception, et non la destruction pure et simple. Hélas, pour cela, il n'allait pas falloir attendre longtemps...

Szalinowski
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le 2 avr. 2020

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Szalinowski

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