On a tous dans l’cœur un ticket pour Liverpool. Sortie de scène hélicoptère pour échapper à la foule. (…) Les scarabées bourdonnent, c’est la folie à London …Quand Voulzy chantait ça, j’avais 9 ans, une jupe plissée queue de cheval – j’étais quasi la seule de ma classe à piger la référence, ça me donnait une ivresse orgueilleuse, ça m’isolait un peu plus volontairement dans un monde avec Les Fab Four, Ziggy et mes personnages de roman.
Et si les Beatles n’existaient pas – sujet de film vertigineux qui m’a fait prendre mon ticket direct – ben moi, moi…je ne serais pas moi…le vrai intérêt du film selon ce que j’en pense : nous faire notre propre film d’un monde sans les Beatles.




Mon deuxième film musical de l’été donc : un combo Histoire de la pop/Rom-com convenu et même décevant si l’on considère le film sur les Beatles qui ne se fera jamais, mais frais, généreux, drôle et finalement plus subversif et réflexif qu’il n’y paraît, du moins dans ses intentions et de ce que j’en ai compris, si l’on s’en tient au genre affiché. Sa première qualité étant d’avoir pris le parti de la lose quand la célébrité ascensionnelle est tant rebattue. Dans le rôle du musicien en galère à trois tondus et un péquin, qui est le seul, un jour, à se souvenir de Paul, George, John et Ringo, Himesh Patel a une bouille craquante.
Imaginer donc un monde sans les Beatles… on ne sait pas toujours ce qu’en a imaginé Danny Boyle, tant il filme à la lettre le scénario de Richard Curtis, plus « Coup de foudre à Notting Hill » et « Journal de Bridget Jones » que « Good morning, England » dans ce « Yesterday ». Curtis qui, de son propre aveu, n’a pas voulu en savoir plus que cette première phrase pour déclarer son amour aux Beatles dans un scénario parfois mièvre à souhait (comme le veut le genre), où l’histoire sentimentale l’emporte un peu trop souvent sur les incroyables potentialités de l’idée de départ qu’il ne fait qu’esquisser : la satire de l’industrie musicale est par exemple si peu originale quand on essaie d’imaginer ce que cette dernière aurait pu être sans l’existence du plus célèbre boys band de l’histoire. Ma fille évoquait ce que la configuration en bande des quatre fantastiques britanniques à la place de l’idole unique avait définitivement changé dans le cinéma même. La question du plagiat par ailleurs, seul véritable élément de dramatisation qui n’encombre le héros que par intermittences, aurait pu prendre une vraie dimension. Certains se sont d’ailleurs demandé pourquoi les deux « étranges » personnages au sous-marin jaune n’avaient pas constitué un obstacle plus tangible à l’ascension de Jack Malik, ce héros malgré lui. Ainsi, la fin peut paraître tout aussi expédiée, si l’on considère les stimulantes données temporelles de départ. Mais avec des « si », hein, on referait le monde et c’est pas simple quand le film est lui-même construit sur un « What if ».
Car, ce film, très feel-good, vous l’aurez compris, est aussi malin et jouissif à bien des égards : il aborde avec beaucoup de légèreté l’idée d’un monde sans l’influence des Beatles ; j’ai eu un fou rire entendu en constatant, en même temps que le héros, la disparition, consécutive à celle des Beatles, du groupe Oasis et des frères Gallagher dans les résultats de sa « Google recherche ». Le film pose aussi avec humour et sous la forme du gag la question des choix esthétiques des Beatles si c’était à refaire aujourd’hui. Il est assez grisant de se dire que cet héritage vénéré serait sans doute remis en question. Une subversion à l’envers (très à la mode aujourd’hui) : « Hey, Jude » deviendrait « Hey, Dude ! » et le « White album » ferait s’affoler les réseaux sociaux sur d’hystériques soupçons de discrimination. Et que dire du divorce toujours houleux entre l’expertise musicale et le goût populaire : les Beatles étaient décriés par les critiques musicales en 64, tandis que la jeunesse se fanatisait sur « Twist and Shout » et la frange coupée au bol. Même combat dans ce « Yesterday » pour Ed Sheeran, détesté par la presse et adulé par la foule, et qui joue son propre rôle dans le film : a lieu un duel au micro assez touchant entre lui et John Malik, le plagiaire des Beatles. Ed Sheeran met au défi le jeune musicien de composer un tube en 30 minutes devant le public. Malik sort (dans une belle interprétation intimiste au piano) « The long and winding road » et Sheeran s’incline devant l’évidence.
Que retenir finalement de la candeur assumée de cette jolie petite comédie britannique, qui ne remplacera pas la filmographie des Beatles, aussi peu sérieuse elle-même que définitive ? Eh bien qu’un monde sans les Beatles pose inévitablement la question de la mémoire collective, de la part inconsciente qui irrigue et fédère celle-ci : les nouvelles générations « connaissent » les Beatles ou d’autres grands sans les avoir connus, sans pouvoir faire la part d’un apport désormais indiscernable. La plus belle idée du film n’est-elle pas que Jack Malik, n’ayant plus aucun support physique ni virtuel, doit retrouver, recomposer les titres des Fab Four de mémoire ? Aujourd’hui, où il est si confortable de googliser pour retrouver des paroles ou une partition et où les gens ne connaissent les chansons qu’à moitié, que resterait-il si nous n’avions plus que notre seule mémoire ? C’est émouvant de s’efforcer dans le noir de la salle, d’essayer avec le personnage – il colle des post-it sur les murs – de reconstituer de mémoire ces morceaux qui font partie de notre vie, inconsciemment ou non. On a envie de l’aider. Les post-it s’accumulent, se déplacent et les chansons se matérialisent sous nos yeux. Il y a quelque chose d’extrêmement fédérateur au cœur du film, qui l’élève au-delà de ses apparences déceptives. Le plus gros problème de mémoire de Jack concerne la chanson « Eleanor Rigby » - et pour cause, vous comprendrez à la fin – les titres mêmes des Beatles et leurs paroles ont présidé aux situations du scénario, plus travaillé qu’il n’y paraît. Car les titres des Beatles sont désormais associés à des situations de vie, car les titres des Beatles ne parlent finalement que d’histoires sentimentales universelles…
Ainsi, si nous revenons sur l’imposture de Jack Malik : est-il un infâme voleur d’œuvres d’art ou un passeur dans un monde où finalement les Beatles appartiennent à tout le monde ? N’est-il pas heureux qu’au hasard d’un désordre spatio-temporel planétaire, il y ait eu quelques mémoires épargnées pour préserver ce qui est d’ordre patrimonial ? Le plagiat peut être alors un hommage, un sauvetage, un tribut. On réintègre Oasis et tous les groupes qui ont vécu à l’ère des Beatles : Yesterday for ever. Love love me do you know I love you…
Ah, oui, et puis John et Yoko…non, rien….ahahahahahaha…on a dit comédie romantique !

Sabine_Kotzu
5
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le 6 avr. 2020

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Sabine_Kotzu

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