You Kill Me
5.8
You Kill Me

Film de John Dahl (2007)

Comment un pitch aussi intriguant et sympathique a-t-il pu engendrer un film aussi insipide?
Ce n'est pas que « You kill me » soit un mauvais film. Il est même plutôt attachant dans son genre. Le problème, c'est qu'il laisse une impression d'anecdotique. Aussitôt vu, aussitôt oublié.
Essayons de comprendre pourquoi...

L'accroche de l'affiche nous promettait une « comédie meurtrière ». A bien y regarder, le personnage principal a beau être tueur, il est plutôt avare en victimes. Et les quelques scènes de tuerie sont loin d'être de grands moments d'humour. Au contraire, elles sont d'une froideur glaçante...
Une fois de plus, on a essayé de coller à un film une appellation certes aguicheuse mais complètement mensongère.

« You kill me » est en réalité un assemblage plus ou moins heureux de trois genres cinématographiques:
- la comédie désabusée, tel que la conçoit Woody Allen dans nombre de ses films.
- la comédie romantique, avec son lot habituel de situations loufoques.
- le film de gangsters au sens le plus strict du terme.

On peut aisément relier ces trois genres aux trois grandes strates narratives qui constituent le scénario:
- Frank face à lui-même tente de combattre son alcoolisme (comédie désabusée).
- Frank tombe amoureux de Laurel (comédie romantique).
- Frank tente de sauver son gang, menacé par un gang adverse (film de gangsters).

Face à cette multiplicité des genres et, par extension, des strates narratives, l'imbrication a du mal à se faire.
Lorsque l'une des strates narratives est développée, on a tendance à oublier les deux autres. Pour éviter que cela ne soit trop fréquent, les scénaristes ont parsemé les dialogues de répliques artificielles qui ne sont là que pour rappeler à ceux qui l'ont oublié en chemin que Frank est bien un tueur, et que même s'il a toujours l'air sobre, il est alcoolique...
Comble de la maladresse, les scénaristes vont encore plus loin.
Lorsque l'intrigue focalise trop longtemps sur la romance ou le combat contre l'alcoolisme de Frank, et qu'on finit par en oublier qu'il fait partie d'un gang, ils sortent de leur chapeau des séquences du type: « Pendant ce temps, à Buffalo... ».
Bien sûr, ces séquences qui rythment le film à intervalles réguliers, servent de compte à rebours et permettent d'introduire la dernière partie du film... Elles n'en sont pas moins maladroites pour deux raisons.
Tout d'abord, le changement brutal de genre (comédie/film de gangsters) est tellement violent qu'on a l'impression d'avoir changé de film. Pire... Alors que ces quelques séquences sur la guerre des gangs qui fait rage à Buffalo sont censées peser comme une épée de Damoclès sur la tête de Frank, elles semblent tellement faire partie d'une autre histoire qu'elles en deviennent artificielles.
Deuxième maladresse de ces séquences: alors que tout le film gravite autour de Frank, personnage qui apparaît en permanence à l'image, ces quelques minutes où il est absent ont plus le goût d'une astuce scénaristique destinée à préparer le dénouement, que celui d'un déroulement logique de l'intrigue.

Cette collision maladroite des genres et des strates narratives trouve son apogée lors du climax dramatique où Frank, en pleine réunion d'Alcooliques Anonymes, menace de se faire liquider par le tueur d'un gang adverse, mais est sauvé in extremis par son amour, Laurel.
Romance, film de gangsters et comédie s'entrechoquent ici de manière invraisemblable.
Que Laurel soit aussi habile qu'une tueuse aguerrie paraît surréaliste. Que le lieu soit une salle de réunion d'Alcooliques Anonymes, affadie le grand drame meurtrier qui s'y joue.
On voudrait y croire tant le personnage de Frank nous est sympathique, mais rien n'est fait pour nous y aider.

Attardons-nous un peu sur ce personnage de Frank Falenczyk, interprété avec talent par Ben Kingsley. Avec sa « gueule » et sa dégaine si particulière, il est réellement attachant mais n'arrive pas à être ce qu'il aurait pu être: un personnage charismatique qui continue de vivre dans nos têtes bien après la fin du film.
Deux raisons à cela.
La première est que Frank est d'une passivité déconcertante. Il subit l'alcool, son destin... Il ne semble être qu'un pantin que manipulent les gens qui l'entourent pour le meilleur et pour le pire.
Beaucoup de films utilisent pourtant ce genre de personnage. Mais il arrive toujours un moment où celui-ci se réveille et prend en main sa propre histoire.
Ici, ce changement ne se produit que timidement en toute fin de film. Difficile donc pour le spectateur, de s'identifier à ce personnage qu'on a envie de secouer pour qu'il réagisse un peu.
D'autant plus, et c'est là son deuxième problème, que Frank manque cruellement de profondeur. Ben Kingsley a beau lui donner corps et le faire exister physiquement, on se rend bien vite compte du grand vide qui se cache derrière cette façade.
Auncun indice ne nous est donné sur ce qu'il était avant le début de l'intrigue. Pire... Un épilogue complètement inutile nous empêche d'imaginer nous même ce qu'il deviendra après le mot « Fin ».
Frank naît au début du film et disparaît sans laisser de trace lorsque débute le générique de fin.

Deux choses sont toutefois à retenir dans ce film. La musique, tout d'abord. Une musique d'Europe de l'Est qui sait se montrer à la fois grave et légère, joyeuse et mélancolique, et qui réussit le défi de coller parfaitement aux trois genres qui constituent le film. Elle est finalement le fil conducteur qui empêche le film de tomber en morceaux.
Le montage, ensuite, est tout simplement fascinant.
Alors que les séquences du film jouent sur la lenteur, le rythme du montage est, lui, plutôt enlevé. Les plans se succèdent rapidement pour replacer les personnages dans leur environnement, multipliant les inserts et les points de vue différents.
Ceci pour que l'œil du spectateur ait toujours quelque chose de nouveau à voir même dans les séquences les plus banales et les plus statiques.
C'est un véritable travail d'orfèvre qui témoigne d'un grand sens du rythme chez le réalisateur.

Le scénario de « You kill me » a croupi pendant huit ans dans un tiroir avant d'être porté à l'écran. Peut-être aurait-il du y rester car malgré un bon réalisateur, de bons acteurs, une bonne bande-originale... cette histoire n'a décidément rien de très palpitant...
LikeTheMoon
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le 22 mai 2012

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