Your Name.
7.6
Your Name.

Long-métrage d'animation de Makoto Shinkai (2016)

Interrogé sur le succès retentissant de son dernier-né, Shinkai Makoto semble rester dubitatif. En interview, il s’avoue volontiers surpris et frustré de n’avoir pu perfectionner son film autant qu’il l’aurait voulu. Force est de constater que cet étonnement peut se partager car, si Your Name reste indubitablement une réussite, on peut s’interroger sur son statut instantanément iconique au milieu d’une production dont il ne se distingue pourtant pas particulièrement au premier coup d’œil.


[Autant vous prévenir, ce texte répondra essentiellement à la question « pourquoi pas plus ? », mais mon opinion sur le film reste largement positive.]


Les médias occidentaux semblent rechigner à démordre du nom de Miyazaki comme référence couteau-suisse dès qu’il s’agit d’évoquer le cinéma d’animation japonais. Pourtant, on ne peut dénier à Shinkai d’avoir, au fil de sa filmographie, tissé une identité artistique cohérente et reconnaissable, qui devrait le mettre à l’abri d’un rapprochement aussi paresseux. Your Name ne fait pas exception et s’inscrit dans la filiation directe de l’œuvre de son créateur, bien qu’il témoigne à divers égards d’évolutions qui semblent positivement accueillies par le grand public – et par moi-même.


En premier lieu on remarquera, comme toujours chez Shinkai, le soin spécial apporté aux décors. Si l’on reste loin des prouesses quasi-photographiques de son moyen-métrage The Garden of Words, on sera néanmoins séduits par l’aspect visuel qu’il aura su insuffler à ce Your Name nettement plus ambitieux en termes de durée et donc de plans. A ce titre, la talentueuse obsession de son héros masculin pour le dessin semble une projection de l’artiste cherchant de la pointe de son crayon à capturer et ressusciter la réalité avec la plus grande justesse possible.


Cependant, ce sont aussi dans les thèmes abordés que l’on reconnaîtra la plume de Shinkai, et en particulier dans son traitement du sujet amoureux. Affleurent les mêmes frustrations douces-amères que dans 5 centimètres par seconde, ce même vide intime laissé par un désir d’absolu incompatible avec le possible – sur ce sujet, on se rappellera aussi La Traversée du Temps de Hosoda Mamoru. On regrettera juste qu’avec ses grands tambours retentissant de l’écho d’une destinée, Your Name souscrive sans subtilité à un schéma amatonormatif, là où ses prédécesseurs, certes sans s’en détacher, avaient du moins le mérite de nous le livrer avec un certain inconfort qui complexifiait la perception des rapports et rendaient leur poids aux choix.


C’est que dans son ensemble, la trame scénaristique de Your Name apparaît relativement classique, et si elle présente des rebondissements intelligents, le traitement narratif n’a pas de quoi décontenancer. En effet, en surface, le film nous offre une représentation plutôt banale du clivage ville/campagne tel qu’on le trouve habituellement évoqué, entre un territoire de traditions à la jeunesse majoritairement envieuse de la vie citadine, et une effervescence Tokyoïte à l’indépendance individuelle exacerbée.


Néanmoins, nous n’en sommes pas encore venus au ressort narratif principal que constituent les échanges corporels entre nos deux héros. C’est essentiellement à ce titre, dans sa première partie du moins, que l’œuvre peut paraître décevante au regard d’un Kokoro Connect qui avait déjà abordé le sujet avec plus de finesse. C’est ici surtout que des gags prévisibles laisseront une fade saveur de facilité. Ce défaut est partiellement compensé par quelques bonnes idées sur la façon dont s’organisent les échanges entre les personnages, quoique certaines incohérences empêchent de s’en satisfaire pleinement (comment s’explique-t-on que Taki n’ait jamais connu le nom de la ville où il évolue dans le corps de Mitsuha ?)


A cela s’ajoute une souscription aux codifications outrancières de l’animation japonaise, réactions excessives et expressions exagérées en tête, qui expliquent sans doute en partie sa plus grande popularité, mais auquel il est dommage de voir Shinkai céder alors qu’il avait jusque-là privilégié une pudique subtilité. De même, les séquences musicales de Your Name, si elles sont globalement agréables et intégrées comme elles pourraient l’être dans un film live action, ne peuvent dans ce contexte que rappeler des openings d’animes et donnent ainsi parfois le sentiment d’une œuvre hybride ne sachant sur quel pied danser.


Ainsi, à bien des égards, la patte de Shinkai, qui jusque-là s’exprimait pleinement dans le caractère contemplatif d’œuvres dont le rythme pouvait – à moi du moins – paraître exaspérant, elle semble ici atténuée sous le vernis d’une production beaucoup plus standardisée, si bien que l’on se sait s’il faut se réjouir de voir le réalisateur nous adresser une proposition plus dynamique ou s’inquiéter d’un résultat qui exprime moins de personnalité. Heureusement, le maniement habile des thématiques nous focalise sur le scénario plutôt que sur l’ambiance, et c’est bien l’aspect par lequel Your Name sait s’illustrer.


C’est en effet une bonne surprise que nous concocte le film à l’instant où l’on prend conscience de la seconde dimension de son scénario, et qui n’est pas sans rappeler un certain film de science-fiction de cette fin d’année 2016 qui nous suggérait lui aussi que "la véritable obsession de l’homme ce n’est pas l’espace, c’est le temps". Cependant, si ce réagencement des événements sera l’occasion d’une très belle scène à l’identité visuelle captivante, il en amènera d’autres qui pourront provoquer sur le moment un sentiment de confusion, alors que le spectateur doit encore achever la reconstruction de la logique de l’œuvre.


Il me paraît également judicieux de souligner que, de la même manière que la narration trouvera sa grâce dans son revirement de perspectives, l’aspect relativement caricatural de Taki et Mitsuha est ponctuellement contrebalancé par la personnalité, certes beaucoup plus discrète, de personnages secondaires qui, par leurs infimes interventions, servent d’aiguillons à nos héros trop empêtrés dans les événements et leurs propres émotions. En effet, si certains semblent apporter une justification scénaristique (trop) facile, ils nous donnent surtout le goût de l’histoire gardée secrète, de la complexité de leurs propres destins que nous n’avons pas l’opportunité d’explorer.


Pour être plus précise, je pense notamment au personnage de Mlle. Okudera qui, lors de son rendez-vous avec Taki, témoigne de sa clairvoyance, que l’on sent héritée de l’expérience, concernant les sentiments du jeune homme. Cette réplique furtive suffit à lui conférer l’image d’une maturité digne et à suggérer sa trajectoire au-delà de sa simple fonction scénaristique. De même, apprendre que la mère et la grand-mère de Mitsuha ont connu un phénomène similaire dont elles ont tout oublié compense la notion de prédestination qui vient camper dans la relation de nos deux héros avec ses gros sabots.


En grattant sous le papier, on découvre ainsi une œuvre un tantinet plus complexe que ce que ses poncifs suggèrent, mais on s’aperçoit bien vite à quel point il est dérisoire de se focaliser sur ces aspects-là, tant ce qui domine le film est sa charge émotionnelle. A l’image de Le Garçon et la Bête de Hosoda, Your Name trouvera plus sa force dans la connexion qu’il saura créer avec le spectateur que dans son originalité – et cette redoutable alchimie, il n’est pas possible de l’analyser en pointant simplement du doigt tel ou tel aspect de la réalisation, mais on est bien obligé pour l’expliquer de s’en remettre au talent de la narration… et à sa propre subjectivité.


NB : Pour ma part, mon enthousiasme demeurera raisonnable car j’y trouve le véhicule d’une idéologie destructive qu’est pour moi l’amatonormativité. Le tout est si joliment emballé que je m’y suis moi-même laissée prendre, et je ne dénigre pas l'expérience émotionnelle, loin de là. Seulement je ne tiens pas à encourager outre mesure un scénario qui entretient aussi explicitement l’idée que l’on est supposé trouver sa moitié sans laquelle on est vide et incomplet, et que cette relation est censée écraser toutes les autres (un texte à ce sujet qui prend sens dans le cas de Your Name - en anglais). Je n’ai, rassurez-vous, aucun désir de lancer ici un débat ou de faire polémique, mais il me paraissait plus honnête de vous faire part de ce principe qui explique aussi en grande partie ma tiédeur vis-à-vis de l’œuvre, et de ne pas vous dissimuler une grille de lecture aussi marquée.

Shania_Wolf
7
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le 5 janv. 2017

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Lila Gaius

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