Au rayon des films abordant l’inquiétante émancipation de l’intelligence artificielle, il manquait une franche comédie : après le HAL autocrate de 2001, l’amante inaccessible de Her, voici donc le frigo Yves, un combo d’électro ménager et d’Alexa, ces boîtiers capables de répondre à toutes nos questions et prenant à une vitesse croissante un rôle central dans les foyers.


Satire du monde contemporain, le deuxième film de Benoit Forgeard après le déjà insolite Gaz de France monte une galerie de personnages qui, tout en occupant différentes strates des classes sociales, ont en commun leur profonde bêtise liée à l’idolâtrie face aux nouvelles technologies. Ainsi de ce rappeur loser qui semble un digne héritier des personnages inventés par Gringe et Orelsan dans Bloqués, et qui va vite trouver son compte dans la réactivité des algorithmes d’une machine palliant ses manques de motivations ; ainsi, aussi, de l’ambassadrice de la machine, une Dora Tillier qui joue, comme dans La Belle Epoque présentée à quelques jours d’intervalles au Festival de Cannes, un mélange d’une femme au clash facile doublée d’une midinette qu’un rien fait fondre, qu’il s’agisse de craquer pour un post-ado dénué de charme ou un réfrigérateur doté d’un sex-appeal à la température idoine.


La caricature d’un monde aussi dégénéré que cyniquement attaché au profit n’épargne personne et fonctionne un temps : la manière dont le frigo suggère une nouvelle alimentation, la pique envoyée sur le formatage de l’écriture musicale actuelle, où une nappe d’auto-tune suffit à garantir le succès sont plutôt amusantes, tout comme le procès qui voit les arguments en faveur de l’IA validés par une industrie prête à vendre son âme pour la poule digitale aux œufs d’or, et qui proposent des arguments pour le moins crédibles sur la prise de pouvoir possible par les machines sur les hommes à très court terme ; et en point d’orgue de la comédie, l’eurovision de l’electro-ménager avec des lave-linge en mode Rammstein emporte tous les suffrages.


Reste que le film souffre d’un défaut majeur : sa durée. Étirer sur 1h47 pour un récit qui pouvait se satisfaire d’un moyen métrage laisse forcément des séquelles. Difficile de s’attacher à des personnages qui ne sont que des pantins, où même à Katerine qui se contente de jouer le rôle auquel on le cantonne en permanence. La foire aux vanités souffre elle-même de pas mal de trous d’air, et on ne saurait trop conseille d’aller voir du côté de Quentin Dupieux la manière d’assumer la minceur d’une intrigue, en lui rendant justice pour l’exploiter dans toute sa densité. Son dernier film, Le Daim, actuellement en salles, dure 1h17, et c’est une incontestable réussite.

Sergent_Pepper
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le 26 juin 2019

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Sergent_Pepper

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