C'est le jeune Pierre Niney qui interprète Saint-Laurent, d'une manière très sensible et impliquée. On peut en effet toujours craindre, quand un acteur joue une personne non-fictive, que cela lui bride tout élan de créativité - Niney fait tout l'inverse : il réinvente Saint-Laurent, l'incarne précisément, mais avec un dévouement et un enthousiasme empreints de respect, et c'est à la fois amusé et impressionné que l'on assiste à cette méticuleuse métamorphose. Ce portrait est souvent attendu, mais conserve une richesse certaine en exposant les contradictions et les tourments de son protagoniste : on découvre, ou redécouvre, Yves Saint-Laurent comme un artiste maudit, un créateur anxiodépressif, un homosexuel dans les années 60, un fêtard excessif, un génie en souffrance.

Il s'agit aussi, et bien sûr, d'une immersion dans le monde de la mode, dépeint comme intemporel, tant il sera presque l'unique marqueur de la temporalité. Les robes, véritables, sont évidemment magnifiques, et les redécouvrir ici est un plaisir. On aurait aimé explorer encore davantage l'influence que "YSL" commence à avoir sur le monde, l'effet que ces robes ont eu sur les femmes et les mœurs de l'époque, les réactions au-delà des quelques coupures de journaux et du cercle d'Yves (dont Victoire Doutreleau, magnifique Charlotte Lebon que l'on aura cependant préférée dans "La Marche"). Loin de l'extravagance de ces collections, la mise en scène s'avère bien sage et rangée. Et alors que la narration suit ce flot sans trop de longueurs, les différentes péripéties posent, comme toujours, la question de leur véracité ; à quel point sont-elles romancées ? Sûrement beaucoup, ce qui diminuera parfois l'originalité du sujet. Victime de son genre, l'histoire se perdra parfois entre nécessité de retranscription des faits et utilité scénaristique : par exemple, certains personnages (comme celui de Loulou de la Falaise) ne trouveront jamais de raison d'être ; mais au moins, elle saura éviter de justesse l'habituel schéma des biopics "gloire - déchéance".

Parce que le récit se relève surtout en une histoire d'amour, celle qu'Yves partage toutes ces années avec Pierre Bergé, interprété par Guillaume Gallienne, et qui a, apparemment, surveillé le long-métrage avec le soin acharné qu'on lui découvre dans le film. Dès lors, la voix-off de Bergé, quoi que souvent trop explicative et superflue, revêt un aspect assez émouvant : on ne sait plus si c'est Gallienne ou Bergé, le faux ou le vrai. Ce qui reste clair, c'est la puissance de cet amour surpuissant et irrationnel qui fera des deux hommes des compagnons jusqu'à la mort, et même après au vu des projets que Bergé mène en le nom de Saint-Laurent. Et ce malgré les trahisons, les incompréhensions, les bagarres, les tromperies. Serait-ce ça, le grand amour ? Les amours pures et éternelles auraient-elles la prétention de résister ainsi à toutes les bavures ? Ou alors ce type de lien, possessif et autodestructeur, est-il déraisonnable ? Peut-être qu'on se pose les questions, peut-être qu'on est juste ému de cette dernière déclaration d'amour, d'un homme à son conjoint défunt, du monde à un artiste parti.
Assurément
7
Écrit par

Créée

le 30 janv. 2014

Critique lue 293 fois

1 j'aime

Assurément

Écrit par

Critique lue 293 fois

1

D'autres avis sur Yves Saint Laurent

Yves Saint Laurent
PatrickBraganti
3

La couture lache

Hormis l'interprétation en effet époustouflante de Pierre Niney (la voix et la gestuelle) qui, au-delà de l'exercice purement mimétique, parvient, dans la première partie jusqu'à la rencontre avec...

le 9 janv. 2014

44 j'aime

4

Yves Saint Laurent
zoooran
7

Sous toutes les coutures...

Voilà donc le premier biopic sur Yves Saint Laurent, célèbre couturier, réalisé par Jalil Lespert, avec pour interprètes Pierre Niney, dans le rôle de YSL et Guillaume Gallienne, dans le rôle de...

le 4 janv. 2014

30 j'aime

3

Yves Saint Laurent
antoclerc
2

Le teaser d'une rétrospéctive de la collection YSL au Grand Palais...

Jalil Lespert est un piètre metteur en scène. Ils nous livre un film ou plutôt un téléfilm à la patte Canal +, fait à la hâte, qui manque selon moi d'objectivité et de distance. La réponse: le...

le 9 janv. 2014

28 j'aime

Du même critique

Before Midnight
Assurément
8

Les trois "Before"

Tout d'abord, il y a eu "Before Sunrise", en 1995, par Richard Linklater, narrant la rencontre impromptue de deux jeunes vingtenaires, Céline, incarnée par la française Julie Delpy, et Jesse, le...

le 18 juil. 2013

6 j'aime

Gabrielle
Assurément
7

Critique de Gabrielle par Assurément

Je ne veux pas commencer à parler de respect envers les personnes handicapées mentales, je ne veux pas raconter à quel point le film ouvre les yeux du spectateur sur tout ce qu'elles ont à lui...

le 4 nov. 2013

4 j'aime

Youth Novels
Assurément
7

Patchwork

J'avais déjà écouté son second album, "Wounded Rhymes". Je me suis penché maintenant sur sa première œuvre, qui elle aussi porte parfaitement son nom. C'est toujours amusant de faire le chemin dans...

le 31 mars 2013

4 j'aime