Une version longue du déjà roboratif Justice League… pourquoi faire, des années après la sortie du film, qui a rencontré un succès certain en dépit de tout ? Parce qu’un réalisateur, ça a une vision. Artistique, dans le meilleur des cas, personnelle quoi qu’il en soit. On a déjà connu de pareilles coquetteries de la part de divas célébrées comme Ridley Scott. Et les films s’en étaient trouvés magnifiés. Il fallait donc que je m’assure par moi-même de la plus-value de la version rêvée par le réalisateur. Première impression : une overdose de ralentis. C’est-à-dire une prédominance de la joliesse sur le rythme. Intéressant. Le ralenti n’a pas forcément bonne presse ; y recourir systématiquement, à chaque scène d’action, ou pour souligner chaque mouvement intérieur du personnage, c’était risqué. Passée la surprise, je me suis laissé emporter par ce découpage en accordéon… on étire, on comprime, on étire, on comprime. Ça finit par faire comme un ressac, on se laisse bercer. Et, surtout, on guette l’image qui a motivé ce soudain ralentissement, comme un paysage devant lequel on lève le pied quand on est en voiture, pour mieux profiter de sa beauté fugace. Cette image, elle est là à chaque fois, le réalisateur ne nous a pas trompés : un coup de ciseaux et hop, on tiendrait là une couverture pour un numéro anniversaire de l’une des publications de DC comics qu’on achetait avec gourmandise gamins. Les poses sont avantageuses, les lumières exemplaires, les mouvements chorégraphiés comme des ballets dont les moments de gloire seraient immortalisés par les téléobjectifs de la presse. On s’arrête un instant sur une seconde de perfection (dans ce genre), et on repart jusqu’au suivant. Du coup, je comprends que des coupes sombres dans cette mécanique de précision aient pu laisser un goût de désastre artistique. Il y a malgré tout une limite à cet exercice de voltige : le risque de se laisser griser par la forme. Il faut avouer que certains moments de dialogues, dans l’antre de Batman, n’ont guère d’autre but que de nous laisser fréquenter les personnages, auxquels le réalisateur semble tendrement attaché. Du coup, l’histoire piétine un peu tandis qu’Aquaman cabotine (pour cacher son grand cœur de midinette, bien entendu) ou que le Flash pépie, victime d’un esprit perpétuellement inquiet. Certes, les portraits psychologiques y gagnent en épaisseur à mesure que les personnages se donnent en spectacle, mais je n’ai pas pu m’empêcher de voir là une certaine complaisance. Comme quand on faisait interagir nos figurines dans notre chambre les jours de pluie mais qu’on peinait à se trouver une vraie grande mission à accomplir parce qu’on était privé de jardin, où se terraient tous les supervilains de la terre. Ce petit côté un peu vain est finalement balayé par l’affaire centrale qui nous préoccupe tous : la mort de Superman. Une plaie à vif qu’on avait hâte de voir cicatriser et je ne trahis plus aucun secret, je pense, à dire qu’on voit arriver le rebondissement gros comme une maison et qu’on se fiche des moyens empruntés pour revoir flotter sur Métropolis, Gotham ou Central City, on s’en tape, la cape si flatteuse tant on jubile à retrouver Henry Cavill, œil d’acier et mâchoire carrée, à la tête de l’équipe. Pour l’anecdote, je salue le travail des artistes sur les costumes de nos superzamis : fini le slip rouge sur le collant bleu ! Un vrai soulagement. Pour compléter la liste de ces motifs innocents de jubilation enfantine, j’ajouterai des méchants majestueux dans leur brutalité (visiblement bêtes comme des pieds mais déterminés à mésuser de leur puissance), de supergadgets plutôt ingénieux, les Atlantes, les dieux de l’Olympe et les héros humains dans les mêmes plans (le fan patenté aime le ragoût de mythes), la prévalence de la solidarité malgré des egos plutôt costauds, des lumières soignées, des paysages grandioses, du mythe en veux-tu en voilà et… une fin heureuse. Quoi que… Justement, là, on a notre vraie grosse surprise : ce cauchemar en forme de cliffhanger qui hante le pauvre Bruce Wayne. Et un personnage inconnu au bataillon (enfin, j’admets ne pas être la plus grande spécialiste mondiale de DC…) qui vient visiblement annoncer un développement apocalytique possible de l’histoire dans notre coin du multivers. Bref, plein de points positifs, pour peu qu’on laisse son esprit critique en sommeil au pied de l’autel des plaisirs régressifs. Après tout, c’est bien le but de ces films pour la jeunesse : de ne rien attendre d’autre comme prérequis qu’une bonne connaissance de leur univers, ce qui est l’apanage de tout fan, même prépubère. On aime tous retrouver des allusions à ce qu’on a déjà vu ou lu ailleurs, et voir comment les scénaristes trouvent des développements grandioses à des histoires qui remontent à présent à des décennies. Pour le reste, même la version director’s cut ne finira peut-être dans aucun musée du cinéma de l’an 3000, mais j’ai passé 4 bonnes heures à me rincer l’œil sans risquer de torsion du neurone, et ça, grâce à ce printemps pourri, c’est inestimable.