L'éternité, c'est long, surtout vers la fin

Sean Connery et son slip rouge,

Sean et ses cartouchières-bretelles assorties, pour une très belle barboteuse,

Sean et son catogan tartare, ses moustaches triomphantes, son torse velu, son string et ses cuissardes – Ecce homo,

On a compris – avec la redécouverte de Zardoz, l’occasion de sortir des analyses approfondies, historiques et longues des grands films des années 50 (une dizaine de critiques récemment), pour entrer dans le pur délire et dans la totale déconnance …

Bref, vous avez dit KITSCH ?

Le mot est faible. « Kitschissime » même n’y suffirait pas.
Il n’y a pas que le costume de Sean. Toutes les femmes portent une espèce de coiffe à la façon de l’Egypte ancienne, et pour le reste, belle initiative, un minimum de vêtements.
Et que dire des décors ? Un bric-à-brac hétéroclite, comme si le régisseur avait dû faire en catastrophe tous les vide-greniers du coin, entre meubles dépareillés, horloges à coucou, crânes en plastique, corps humains sous sacs plastiques (une des obsessions du film), ou statues « grecques » en plâtre …

Kitsch assurément – mais assumé ?

NANAR ?

Là, je préfère réserver la réponse.

Car le kitsch ne semble pas se réduire aux décors et aux costumes – mais affecter, encore bien davantage, toute la pensée, "l'idéologie" du film. Zardoz est un véritable fatras entre philosophie, science, politique et SF.

Cela commence par une sentence brillante et définitive, assénée par le dieu Zardoz, une tête en pierre volant (approximativement) dans l’espace, à l’intention des « humains » : « The gun is good, the penis is evil ».

Puis en vrac, selon le regard de chacun :

- Le vortex , le refuge paradisiaque des immortels dans Zardoz - le mot même qui désigne aussi bien un tourbillon, une porte invisible séparant des univers, ou encore un courant de pensée plus ou moins confus, autour de Boccioni et de Wyndham Lewis (avec continuité des éléments de l’univers et mouvement ininterrompu), le mot donc est pour le moins immodeste,
- Les mathématiques, avec les passages subliminaux d’équations destinés à « expliquer » l’immortalité en jeu dans Zardoz,
- La médecine, avec une intuition assurément très actuelle : le vieillissement repoussé sans limites, avec pour seules contraintes lourdes l’impossibilité d’agir sur les cellules du cerveau – et les vieillards dégoûtants du vortex pourraient aussi bien annoncer Alzheimer …
- La sauvegarde des œuvres d’art, parfois sous sacs plastiques,
- La sauvegarde écologique, une constante chez Boorman, dans un univers préservé et parallèle,
- Les Amazones, chevaux et poitrine dégagée ; ce sont les guerrières, celles qui protègent le temple …
- Les Quatre cavaliers de l’Apocalypse,
- Babel, avec plusieurs langues employées simultanément, et même des langues imaginaires, des sifflements, des stridences ; Zardoz va même jusque à inventer la langue des signes,
- Anthropologie et lutte des classes : c’est toute l’histoire de l’humanité, pas moins, qui est recréée, des affrontements tribaux et des chasses originelles, jusque à l’outil, la création de l’agriculture – et dans le même temps l’exploitation de l’homme par l’homme,
- Thérapie de groupes, façon Gurdjieff ; les seventies, avec leurs aspirations « mystiques » étaient très porteuses pour les sectes de tout poil (voir par exemple « la Chute d’un corps » de Michel Polac, apologie masquée de Gurdjieff précisément) ; là on y ajoute l’auto-critique, et la visée parodique est plus qu’évidente. Et si Zardoz, justement, ne se prenait pas au sérieux ?
- Dürer, Cranach et Baldung Grien, ou les trois âges de l’homme et de la femme, dans les tous derniers instants du film, avec des maquillages bien immondes,
- Le mâle du siècle : une des étrangetés du film, très paradoxale et en même temps très caractéristique des années 70 : à force de revendiquer liberté absolue (incluant le féminisme le plus radical) et rejet des grandes idéologies (à commencer par les religions), on en arrive à promouvoir le modèle le plus machiste et le plus conventionnel du mâle : Z, avec ses moustaches, son torse velu, son string avantageux, Z capable de tirer un chariot avec hommes (les moyens de communication à l’intérieur du vortex, Z qui va toutes les tomber, les féconder, jusque à réveiller les sens des apathiques …
- Quelques acid trips, dignes des seventies : au moment de l’initiation par les amazones, et p)lus tard lors de la découverte du cristal ; délires hors tout contrôle ;
- Nietzsche : il est cité au moins à deux reprises – et il était d’ailleurs une référence assez constante de cette décennie ; au reste (et avec une simplification outrancière, mais la critique ne peut évidemment pas surestimer ce point), sa présence ici n’est peut-être pas si absurde : dans le passage de la bête au surhomme, la passerelle constituée par le passeur, il y a bien la juxtaposition de deux mondes – et dans le monde à naître, la question de l’éternité (sous la forme très explicite de l’éternel retour) est même essentielle : « car je t’aime ô éternité » … Stop délire.

Car il y a un gros bug. Comme un hiatus. Zardoz n’hésite pas en effet à livrer quelques clés – dont, une, la principale, évoque le livre sacré, à l’origine de la création de cet univers, la bible de ce nouvel univers : le Magicien d’Oz, wiZARD of OZ, conte pour enfants, avec mondes parallèles, masque volant et imposteur. De Nietzsche à Oz, on ne peut même plus parler de grand écart …

En fait, un peu plus tard, ce sont deux personnages du film, Frayn (l’inventeur du masque Zardoz) et Friend, l’intellectuel renégat (les noms ont sûrement une portée symbolique, mais j’ai renoncé à chercher), deux des penseurs « essentiels » de Zardoz, qui nous donnent la clé ultime, juste avant de périr dans le massacre final, dantesque et jouissif :
- Faisons preuve de respect envers l’ironie.
- On a réussi. Tout n’était qu’une farce.

Une farce, rien à prendre au premier degré, un délire – mais un délire très réussi. Car il y a une vraie équipe technique – avec le grand Geoffrey Unsworth comme chef-opérateur. Une ambiance. Et il y a un grand metteur en scène.

JOHN BOORMAN

Boorman vient de réaliser Delivrance – ce qui indique clairement qu’il est en train d’atteindre la pleine mesure de son art. Alors Zardoz ?

Les idées de Boorman, récurrentes, importantes, constantes sont connues – une nostalgie très forte d’un âge d’or, d’un paradis perdu, qu’il s’agisse de l’enfance (le magnifique Hope and glory, incroyablement méconnu alors qu’il est infiniment supérieur, sur le même thème à Empire du soleil, ou la Forêt d’émeraude) ou de la nature (Delivrance justement). Zardoz propose une nouvelle déclinaison de ce thème, d’ailleurs dans l’air du temps , avec le recours aux dystopies cartastrophistes – on n’est pas si loin de la Planète des singes, ou du Rêve de singe de Ferreri (excellent film, oublié, où l’on retrouve aussi le mythe du surmâle). Dans Zardoz, le thème apparaît avec force mais sous un angle original et paradoxal : les élus ont tenté d’arrêter le temps. Mais l’éternité acquise, on n’a dès lors plus rien à attendre. En réalité l’âge d’or ne peut être qu’un mythe et apprécié comme tel – que précisément parce qu’il a disparu. C’est le message, pas si inutile d’un film finalement très sympa.. Pas un nanar, pour en revenir à la question initiale.

L’éternité c’est long, surtout vers la fin.

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le 3 août 2014

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