Vous les connaissez, n’est-ce pas, ces têtes brûlées qui font fi du danger, qui l’affectionnent même au point de retourner au front enhardies, trépignant à l’idée de renouer avec ce mélange unique fait de sable, sueur et sang ? Si Kathryn Bigelow n’est pas une soldate à proprement parler, ce parallèle belliqueux émerge à l’aune de son retour en grâce qu’inaugurait The Hurt Locker : car, trois ans plus tard, la cinéaste et son comparse de scénariste Mark Boal vont réinvestir ce complexe terrain de jeu qu’est le Moyen-Orient et ses « visiteurs » états-uniens.


Déjà au charbon avec le projet de la bataille de Tora Bora, le tandem changea en effet soudainement ses plans à la faveur d’un événement significatif comme pas deux : l’élimination d’Oussama Ben Laden, ou OBL pour les initiés, lors d’un raid concluant une traque longue de (quasi) dix années. Ainsi, comme lors des pérégrinations explosives du sergent James, Bigelow se penche à nouveau sur ce contexte géopolitique dense, anti-manichéen et sans issue : avec pour toile de fond, entre autres chose, un interventionnisme américain encore et toujours sujet à controverse, Zero Dark Thirty s’attelait à un conséquent travail de reconstitution propice à la découverte.


Et cela tient de l’évidence : l’intrigue principale et ses quelques ramifications sont toutes passionnantes. De par sa nature hors-norme, le 2 mai 2011 aura tout bonnement fait date, dotant le film d’un versant historique rappelant (aussi) le futur Argo : néanmoins, là où celui-ci se risquait à romancer certains faits, la traque conduite par Maya s’inscrit aux antipodes. Dans une verve factuelle aux allures documentaristes, Zero Dark Thirty fait donc mine d’éviter l’écueil du biais mais échoue à composer une trame véritablement enthousiasmante : car si les faits relatés le sont intrinsèquement, le vernis fictif qu’y applique Boal est aussi timoré qu’insuffisant.


Il s’agit d’un exercice difficile, gageons-le, mais la figure froide qu’est Maya en cristallise à merveille les limites : incarnée par une Jessica Chastain exemplaire, la brillante analyste, une « tueuse » selon certains dires, permet avant tout au spectateur de suivre un itinéraire pré-établi. Un guide donc, et ce davantage qu’un protagoniste à proprement parler, le film ébauchant ci et là des traits à même d’attiser notre empathie mais… c’est trop peu. Avec sa vaste galerie de figures secondaires aux allers et venues sporadiques, Zero Dark Thirty a le souci du détail : néanmoins, celui-ci nous précipite sans harnais dans un micmac confusant, où les enjeux et intérêts divers (pas seulement nationaux) nourrissent des luttes de pouvoir inextricables.


Pour autant, difficile de lui en tenir rigueur, nombre de longs-métrages ayant pour tare commune de trop prendre par la main le spectateur : ici, cela ne sera aucunement le cas, le réalisme et sa naturelle propension pour l’intrication prévalant de main de maître. Comme évoqué, cet aspect est surtout accru par l’absence d’accroche narrative, où dans un scénario idéal la fiction aurait embrassé la réalité sans la pervertir : nous restons donc, de fil en aiguille, sur notre faim, quand bien même le récit s’offrirait de probants soubresauts. Forcément distinct d’un Hurt Locker qui développait à l’envie l’ambivalence de son personnage principal, Zero Dark Thirty éveille une curiosité sans passion.


Encore que, sa prétendue (ou non) étiquette pro-torture aura bel et bien nourri quelques débats enflammés : il est néanmoins des plus malavisés de lui attribuer un quelconque parti-pris, son approche résolument vraisemblable du sujet lui conférant par voie de fait des vertus pragmatiques. La technique du waterboarding a-t-elle permis d’obtenir de précieux renseignements ? Peut-être. En évoquer, toujours ce même esprit factuel, la possibilité fait-il du film un promoteur répréhensible ? La question ne devrait même pas se poser tant la polémique est ridicule… à l’instar de l’interventionnisme d’un Oncle Sam confinant au malaise, hostilité et dangers faisant parties intégrantes du paysage, le scénario de Mark Boal est une nouvelle invitation à la réflexion quant aux écarts d’une politique illégitime et une morale aux nuances infinies.


Pour le reste, si un supplément d’âme aurait été le bienvenu, nul doute que Zero Dark Thirty vaut amplement le coup d’œil.

NiERONiMO
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le 1 mai 2020

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