Il faut reconnaître que ce besoin américain de mettre en film leur actualité pour lui assigner une place a quelque chose de fascinant. Au XIXe siècle, les Académiques faisaient des tableaux des batailles napoléoniennes. Au XXIe siècle, on produit des bobines à gros budget. Mais le résultat est tout aussi académique.
Est-ce un reproche ? Oui et non. Non, car si on peut faire confiance à quelqu'un pour filmer l'action brutale comme la tension extrême et méticuleuse en l'attente de celle-ci, c'est bien Kathryn Bigelow (mais de grâce, épargnons-nous le poncif de "la jolie femme qui filme l'action burnée", merci). The Hurt Locker était un bijou du genre il y a 3 ans. A ce titre, l'assaut final sur le compound de Ben Laden est fantastique, tant dans sa mise en sccène que dans ce qu'il propose au spectateur (à savoir : de voir enfin à quoi ça peut diable ressembler, ces assauts qu'on nous évoque sans jamais nous les montrer). Par ailleurs, le personnage de Jessica Chastain, dont la vie personnelle est totalement occultée par une traque qui devient une obsession maladive, est brillant. Avec ce film, Kathryn Bigelow confirme sa virtuosité dès qu'il s'agit de mettre en images la guerre des temps présents, entre guérilla urbaine et bureaucratie étouffante. Et après une décennie de films post-11 Septembre, guerre en Irak, menace terroriste et j'en passe, il fallait bien un film qui permette de clore le sujet, de préférence sur un happy-end si américain.
Mais c'est un peu un reproche tout de même, car je ne sais pas s'il était trop tôt pour faire ce film, mais Bigelow a beaucoup de mal, d'un point de vue narratif, à prendre de la hauteur et du recul par rapport à son sujet. Il en résulte un récit assez linéaire, timide et orthodoxe de la traque de Ben Laden, mettant en scène la compétence des services secrets états-uniens, sacrifiant leur vie personnelle pour le bien de la nation, ayant recours à un certain nombre de maux nécessaires (coucou la torture - représentée de manière si tolérable que c'en est gênant), selon un tempo archi-connu de tout le public américain qui a suivi religieusement toutes les mises à jour de cette "guerre contre le terrorisme" en regardant CNN. C'est sale juste ce qu'il faut pour éviter la pure hagiographie de la CIA, mais on est totalement dans le registre de la success story pour le bien de la nation. Alors c'est très bien fait, mais la construction du tout, se prétendant objective et d'une rigueur documentaire et supposément non-partisane (alors que la guerre contre le terrorisme est la chose la plus partisane de ces 12 dernières années), rate la possibilité d'avoir un vrai discours fort sur ce qu'a représenté cette traque dans l'imaginaire collectif américain. On ne s'éloigne jamais vraiment du discours officiel et cinématographiquement parlant, on se demande quel est le sens de tout cela. Quand on est pas citoyen américain, il y a fort à croire que ce film soit oubliable en quelques mois à peine (ce qui est loin d'être le cas des opus précédents de Bigelow).
Un film magistral de mise en scène, donc, mais dont la teneur narrative m'a forcément un peu déçue. Je suis sortie d ela salle à la limite de l'agacement. Pourtant, en écrivant cette critique, j'avoue reconnaître que les défauts du film sont si révélateurs et chargés d'un discours sur les Etats-Unis et sa culture que mon appréciation est en train de croître. C'est si outré que ça en vient à fonctionner. Etrange, cela.